Akemi no sekai

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À propos
Poneys de Noël, romance fantastique et vengeance · Creacover 2024, seconde partie

Les billes du temps, nouvelle

Publié le 29/10/2024 dans Mes écrits.

Diatomée a proposé de créer une histoire dont on est le héros, progressive et évolutive. En voici la retranscription (corrigée pour les fautes et les éventuelles incohérences, décelées en fin de parcours).

Cet exercice m’a beaucoup plu et l’histoire m’a émue à bien des égards.

couverture du livre

Akemi, la trentaine, découvre une caverne secrète dans la falaise alors qu’elle s’apprête à sauter. Une énigme se présente à elle, la propulsant dans une aventure incroyable. Elle rencontre des amis qui lui redonnent goût à la vie.

Environ 43 minutes de lecture.

Les billes du temps

Le soleil se lève à l’horizon, baignant l’océan dans une lumière dorée. Depuis la haute falaise de craie où tu te tiens, tu observes au loin les bateaux qui glissent doucement sur les vagues, tandis que les mouettes tournoient autour. Le vent frais, chargé d’embruns salés, caresse ton visage et t’apporte une sensation de vivacité.

Ton regard revient lentement vers le bord escarpé de la falaise, où les herbes folles et la mousse s’accrochent aux rochers blancs. Là, presque à tes pieds, tu remarques une corde épaisse solidement nouée au poteau rouillé portant le panneau : « Risque de mort - Interdiction de s’approcher du bord ». La corde se poursuit dans le ravin en contrebas, là où tu as interdiction d’aller. À quoi penses-tu ? Que fais-tu ?

Cela me fait sourire. Un signe du destin ? De toute façon, je suis venue ici pour me jeter de la falaise. Je n’ai rien à perdre. Seules la vue magnifique et l’impression de grandeur et de vitalité m’ont fait hésiter.

Je m’accroupis, empoigne la corde et tire dessus. Elle est lourde, épaisse, chargée d’humidité. Elle semble descendre bien bas. Inspirant une longue bouffée d’air salé qui me pique les narines, je serre fermement mes mains sur les brins rugueux et entreprends de passer une jambe dans le vide, puis l’autre. Le bout de mes chaussures, imbibées de la rosée des herbes hautes d’où je viens, glissent sur la roche. Je finis par trouver prise et commence à descendre. Étrangement, chaque pincement de ma peau sur la corde me fait me sentir en vie. Le vent, de plus en plus fougueux, me frappe les côtes et m’aplatit sur la paroi. Je suis vivante et sur le point de découvrir quelque chose que seuls les audacieux, ou les suicidaires, ont pu voir avant moi.

Tes mouvements sont une danse entre l’audace et le danger, t’exorcisant à chaque instant du chagrin. Plus tu descends, plus la vie t’importe ; plus ta vie t’importe. Il y avait toutes les chances du monde pour que le poteau rouillé cède, mais le destin n’en a rien fait. Tes pieds se posent enfin sur un étroit balcon de craie, faisant face à un trou très sombre, chargé d’un air humide aux relents de poissons. Le sol est tapissé d’un joyeux mélange de fientes blanchâtres, d’arêtes et d’écailles. Que fais-tu ? Où vont tes pensées et ton imagination ?

« Pouah, quelle puanteur ! C’est bien comme ça que l’on sait qu’on est vivant ! »

J’avance d’un bon pas sur les fientes, prenant garde de ne pas glisser, avant de lâcher la corde. Remonter maintenant serait idiot. D’abord, le poteau et la corde pourraient céder à tout instant (je ne suis plus trop motivée à trépasser) et ensuite, ce serait dommage de rater cette occasion de vivre une aventure.

J’allume la lampe torche de mon téléphone en lui criant une incantation magique, qui se répercute en écho dans les profondeurs de la grotte. Je jette un dernier regard au ciel immaculé et à la mer déchaînée qui se heurte au pied de la falaise, avec une vague pensée pour mon corps écartelé qui aurait pu s’écraser en bas. Après une secousse mentale, je m’avance dans les ténèbres en suivant le raie de lumière blanche de la lampe, qui accentue la brillance des écailles et des déjections sur le sol.

À pas feutrés, tu t’avances dans la grotte pour en observer les formes. Quelques gouttes tombent dans des flaques. Leur bruit apaisant contraste avec l’atmosphère pesante. Les ombres projetées par l’éclairage du téléphone sont lugubres. Tu continues un peu et te retournes un instant pour voir l’entrée lumineuse de laquelle tu viens. Cette inattention te fait butter contre un crâne de rongeur et tu ne tardes pas à entendre un battement d’ailes. Il semble que tu aies troublé le sommeil d’un prédateur. Tu diriges alors ta lumière en direction du bruit. Deux yeux lumineux te scrutent et s’élèvent dans un bruit menaçant. Le grand cormoran noir te prend en chasse !

L’oiseau, proche de la sortie, s’élance vers toi. Tu fuis à toutes jambes dans un dédale de galeries, toutes similaires, manquant plus d’une fois de te blesser. Ralentir ? Sûrement pas ! Tu sens pratiquement le souffle de la bête dans ton dos. Ton cœur s’accélère. Alors tu continues. Tu continues à t’enfoncer toujours plus loin dans la falaise et pour sûr, tu finis par t’y perdre. L’oiseau t’a abandonnée. La lumière aussi. Ton téléphone n’a pas supporté son dernier choc. Tu te retrouves seule dans le noir, sans repère.

Je reprends mon souffle en me tenant les côtes, concentrée sur ma vision. Je discerne à peine des nuances de gris. Et encore, ce doit être mon imagination.

Bon, je m’assieds à tâtons, précautionneusement, pour réfléchir.

Le dédale de galeries ne me laisse aucune chance de retrouver mon chemin si je retourne en arrière. Et puis je risque de tomber sur ce poulet fou !

Je respire plutôt bien maintenant, et l’air n’est plus chargé de relents écœurants. J’inspire profondément avant de me relever, bras tendus, palpant la roche au fur et à mesure de mes pas. Je manque de tomber en passant ma main sur le vide, dans une nouvelle embouchure. L’air qui en provient est frais ! Il doit y avoir une sortie quelque part qui permet le renouvellement de l’air. Je vais par là, c’est décidé ! Il me faut faire preuve de prudence (pas comme lors de ma fuite effrénée) et surtout, de discrétion. Mes pas qui clapotent dans l’eau sont déjà bien suffisants pour réveiller un nouveau prédateur hargneux !

Ton cheminement dans les galeries parfois très étroites ajoute à ta fatigue. Ton pouls a repris son rythme normal depuis quelques temps et l’air est devenu de plus en plus supportable. Tu te persuades que tu es sur la bonne voie, ce qui te motive à continuer.

La grotte latérale au conduit sinueux, dans lequel tu n’es pas si loin de ramper, se montre particulièrement spacieuse et lumineuse. Tu la trouves en fait magnifique. Ses parois sont serties de gemmes qui brillent plus que des étoiles et l’air y semble si pur. Au milieu de l’immense salle se trouve un bassin d’eau géant. Son fond est tapissé de ce que tu crois être des billes chinoises. « Ça y est ! Je suis morte. » te dis-tu. Mais non, un léger pincement de l’avant-bras te promet qu’ici n’est pas le paradis. Cela te soulage et te fait reprendre ton souffle. En admirant cet espace somptueux, tu aperçois diverses fenêtres irrégulières aux vitrages d’ambre. Elles apportent de la chaleur au lieu. Il te semble qu’il y a tant de choses à découvrir ici. Par quoi commencer ?

Je m’approche de l’une des fenêtres ambrées pour voir s’il y a quelque chose de l’autre côté. Son éclairage tamisé me rassure et m’intrigue. J’espère juste qu’il n’y a pas encore un animal nerveux dans les parages.

Tu entends un léger « clic », mais tu ne sais pas d’où provient ce son. Tu ne parviens pas à voir ce qu’il y a à travers l’ambre, mais tu supposes, à raison, que c’est l’extérieur. Puis, tu fais une découverte. Sous chacune des six vitres se trouve un cartouche. Tu commences par lire celui qui est devant toi.

[ « Er…Er…Er… tauq !!! » Je tousse d’une drôle de façon. ]

Cela te semble énigmatique ?

Une grotte dans une montagne, une sorte d’énigme, une toux atypique ? Je pense à Gollum. Je dois reprendre mes esprits ! Et ce « clic » que j’ai entendu… Je ferais mieux de bien regarder où je mets les pieds. Il ne manquerait plus que je déclenche quelque piège secret. Cette fois, ce sont les films d’aventure et de chasse au trésor qui s’imposent à mon esprit. Des histoires rocambolesques sans doute bien loin de ce que je vis en ce moment. Je suis perdue au cœur d’une falaise hantée par un oiseau marin zélé, me rappelé-je. Ma priorité est de trouver comment sortir d’ici et quelque chose me dit que cette inscription n’est pas là par hasard.

Accoutumée à la douce lumière ambrée, je parcours le reste de la cathédrale pour observer les autres cartouches.

En t’approchant d’une autre stèle d’ambre, un nouveau « clic » retentit. Cette fois tu remarques que la dalle où tes pieds se trouvent en est la cause. Faut-il éviter de marcher sur toutes les dalles ? Peut-être. Et puis, la lecture resterait possible. Pour l’instant, tu te contentes de prendre connaissance du cartouche devant toi.

[ Je vais Nu dans l’eau. ]

Tout cela est bien intrigant. Je fais le tour de la grotte pour lire toutes les stèles en veillant à ne pas marcher sur la dalle susceptible. Pour l’instant je n’ai aucune idée de ce que me raconte cet endroit.

Tu relèves alors le texte des autres cartouches sur ton petit carnet de poche pour avoir l’entièreté sous les yeux.

[ « Er…Er…Er… tauq !!! » Je tousse d’une drôle de façon. ]
[ Je vais Nu dans l’eau. ]
[ Ô grand Xued, notre bassin est parfaitement circulaire ! ]
[ « J’eXis un sâtiment ! » xD ]
[ Je tourne une fois sur moi-même. ]
[ Quand je suis au centre, je dis « Siort ». ]

Tu te grattes la tête.

Bon… Clairement, il faut que je réfléchisse. J’ai beau lire et relire ces phrases énigmatiques dans tous les sens, je n’y comprends rien.

Quoique… Il y a quand-même ces majuscules en plein milieu des phrases. Hum… Si je lis à l’envers les mots qui en possèdent une, j’obtiens des chiffres : un, deux, trois. C’est bizarre. Il y a six aussi, je crois. Et il y a six items. Oh, je n’aime pas trop la façon dont se présentent les choses. J’ai comme l’impression que ces indications sont en fait des instructions, à respecter dans un ordre précis. Or, je n’ai pas l’intention d’aller dans l’eau toute nue ! Non, non, non, je dois réfléchir encore un peu…

Je n’arrive pas à m’enlever Gollum de la tête. À cause de la toux, sans doute. Je commence à flipper.

La quatrième phrase n’a aucun sens ! On dirait une blague. Je me demande de quand datent ces inscriptions, et qui les a mises là. Si ça se trouve, quelqu’un s’amuse à m’épier en ce moment-même. Je ne vois rien ni personne. Je ne suis pas à l’aise.

Mon malaise fait bien vite place à de l’impatience. J’ai l’impression que je suis là, à cogiter, depuis des heures. J’aurais plus vite fait de marcher sur toutes les dalles, il se passerait peut-être quelque chose. Alors qu’un moment plus tôt je pensais en finir avec la vie, ne songeant qu’à la beauté des lieux qui m’apaisaient, avant le grand saut, je me sens désormais stressée et vexée. Je devrais pouvoir résoudre cette énigme, tout de même !

Reprenons : six items, des chiffres quand il y a une majuscule… Cette toux m’intrigue de plus en plus. Qui tousse de la sorte ? J’essaie de produire le son, pour me rendre compte de l’effet. Je n’en retire qu’une réelle quinte. Il y a bien des majuscules aussi dans cette phrase. J’essaie de lire le mot à l’envers : rE ? quaut rE ? Ah non, quat rE ? Quatre ?!? Voyons, voyons, il doit y avoir un « cinq » quelque part ! Je relis les textes. Je n’en vois aucun, mais une phrase ne possède pas de majuscule en son sein. Pas d’indication. C’est celle-ci.

Si je les relis dans l’ordre, cela donne :

[ Je vais Nu dans l’eau. ]
[ Ô grand Xued, notre bassin est parfaitement circulaire ! ]
[ Quand je suis au centre, je dis « Siort ». ]
[ « Er…Er…Er… tauq !!! » Je tousse d’une drôle de façon. ]
[ Je tourne une fois sur moi-même. ]
[ « J’eXis un sâtiment ! » xD ]

Est-ce que je dois me rendre dans l’eau, à poil, marcher jusqu’au milieu pour crier, tousser, tourner sur moi-même et… Blaguer ? Ça n’a pas de sens. Je ne vois pourtant rien d’autre.

Je regarde une nouvelle fois tout autour de moi, faisant le tour du bassin en évitant de trop m’approcher des dalles, sous les stèles. Il n’y a personne. Je suis seule dans cette grotte étrange. Et bien que je discerne la lumière à travers l’ambre des fenêtres, je ne peux voir de l’autre côté. J’imagine que personne ne peut donc me voir non plus. Bon. Aller, si ce matin je pouvais accepter que quelqu’un puisse découvrir mon corps éclaté au pied de la falaise, je peux bien supporter un hypothétique et peu probable voyeur pendant que je résous cette fichue énigme.

J’ôte mes vêtements, les balance en tas près du bassin et monte dedans à toute vitesse. J’ai pied. L’eau me monte à peine aux genoux. Je ne frissonne pas. Je jette un nouveau coup d’œil à mon carnet pour savoir quoi faire. Le bassin est circulaire. Je le traverse donc de part en part en comptant mes pas, puis reviens de moitié afin d’en atteindre le centre. Une fois sur place je crie aux parois serties de gemmes (en me sentant parfaitement idiote) : « Siort ». Je m’efforce de tousser « d’une drôle de façon ». On dirait davantage que j’ai une boule de poils dans la gorge, plutôt qu’un quatre. Enfin, je tourne sur moi-même tout en relisant la dernière étape. Sur un ton incertain, je m’écrie : « J’exis un sâtiment ! ». Une pensée fugace et inquiétante me submerge alors : et si je venais de réaliser une sorte de rituel pour réveiller un monstre vengeur ?

Les billes vibrent à l’unisson et l’eau ondule depuis ton corps jusqu’au bord du bassin. Tu es à l’épicentre de mouvements qui se changent en vagues. Parvenant au bord, elles se dressent magistralement en un mur atteignant le plafond. Tu te retrouves alors dans un cylindre aux parois aqueuses. Les billes oxygénées frétillent davantage. C’est à la fois beau et spécial. Elles se rassemblent progressivement devant toi dans un bruit de galets qui retournent à la mer. Quelques unes se démènent pour s’extirper de sous tes pieds. Tu les laisses rejoindre ce qui mue en un humanoïde de verre. Il te dit chaleureusement : « Bienvenue ! ».

Je suis stupéfaite. Je ne sais pas comment réagir. Ma curiosité l’emporte sur ma pudeur. Je le scrute, dépassant largement les limites de la politesse. En même temps, a-t-il été poli, lui, à me tendre une énigme et à apparaître de la sorte devant moi ?!

Moi : Euh, bonjour ?

L’être de verre : Poli ? À quoi bon ? Pour te faire faire vite fait le tour du propriétaire, là, il y a ma tête.

Il pointe un doigt vers une boule de billes de verre aux couleurs turquoises, opalines et mandarines, se trouvant au sommet du reste. Tu lui rétorques avoir deviné, car c’est tout à fait la place d’une tête ! Tu lui demandes aussi de ne pas lire dans tes pensées, car c’est très perturbant et surtout, privé.

La créature : Je n’y peux rien, désolé ! Mais au fait, t’es qui toi ?

Moi : Eh bien je te retourne la question !

Quel toupet ! Il a même le culot de me désigner sa tête, comme si j’étais une vulgaire voyeuse. Qui m’observe en douce depuis tout à l’heure ?! Je me rappelle que je suis nue et me sens rougir.

Moi : Oh et puis zut, moi je suis Akemi. Juste Akemi. Qui es-tu, toi, et pourquoi ce petit jeu ? Et puis, comment je fais pour sortir d’ici ?

Mon envie de ramasser une jolie bille m’est passée, maintenant que je sais qu’elles sont des parties de son corps étrange.

L’être magique : Vois-tu des yeux sur ma tête ? Non ! Normal, j’en ai pas. La seule personne qui en regarde une autre ici, c’est Akemi. Mon nom est Zlatifouze Ermacopate. Nous sommes partis sur une mauvaise base. Aller, donne-moi ton vœu et je l’exauce fissa. Tu l’as bien mérité.

Moi : Mon vœu ? Euh, Zlati…pate, es-tu un génie ? Comme dans les histoires ?

Zlatifouze : Oh, un diminutif, si tôt, quelle délicate attention. Oui, je suis un génie… Niaaa, c’en est trop, j’suis flatté.

Zlatipate me fait tellement rire que l’écho de ma voix fait tomber de la poussière du plafond. Que sa réaction est touchante. Effectivement, il n’a pas d’yeux, je ne discerne même pas de visage, mais son expression est palpable et communicative.

Moi :Un génie…

Intéressant. Comment est-ce possible ? Se pourrait-il que les histoires fantastiques soient vraies et que la magie existe ? Hum…

Moi : Avant toute chose, Zlatipate, j’ai deux questions à te poser. La première : puis-je quitter le milieu du bassin sans te faire disparaître ? Et la seconde : Es-tu pressé d’en finir ?

Zlatifouze : Oui, oui, bien sûr. Et j’ai tout mon temps aussi.

Zlatifouze t’invite à t’asseoir avec lui sur le rebord du bassin dans d’innombrables frictions bruyantes, mais aussi, apaisantes.

Zlatifouze : Quel hôte je fais… Je n’ai même pas de chocolat chaud à la fraise à te proposer.

Avant de prendre place auprès de lui, je renfile mes vêtements et serre mes bras autour de ma poitrine. Je commence à frissonner. Le contre-coup de cette rencontre inattendue, sans doute. Un chocolat chaud à la fraise me ferait drôlement plaisir, c’est certain. On pourrait croire que Zlatipate n’aurait aucune difficulté à en faire apparaître… Il y a sans doute des règles à respecter, dans la magie. Je devrais probablement le souhaiter… Mais attention, je ne dois pas penser à n’importe quoi ! Zlatipate est capable d’entendre mes pensées et il pourrait se méprendre sur mon vœu. Un vœu ? Je sais ce que je souhaite vraiment, mais je ne peux pas le souhaiter. Cela me paraît injuste, déséquilibré. Une telle occasion ne devrait pas m’être accordée. Et pour d’obscures raisons, en plus. La chance ? Pff, je n’en ai jamais eu. Impossible. Alors quoi ?

Je finis par m’asseoir près de mon hôte étonnamment silencieux. Il essaie peut-être de ne pas entendre mes pensées alors qu’il les lis sans difficulté. Je m’installe plus près que la retenue ne me l’imposerait, mais j’ai comme la sensation qu’il dégage une douce chaleur et les multiples couleurs de ses perles m’apaisent.

Moi : Quel est cet endroit, Zlatipate ? Quelle est ton histoire ? Est-ce que quelqu’un est déjà venu ici ? Combien de vœux as-tu réalisé ? Pourquoi fais-tu cela ? Qu’est-ce qui m’autorise à bénéficier de cette chance ? Raconte-moi tout !

J’ai du mal à reprendre mon souffle. À croire que je ne suis pas si apaisée que cela. J’inspire profondément et reprends :

Moi : Commence par me parler de toi, s’il-te-plaît. Qui es-tu ?

Au sein de Zlatifouze remontent des billes de verre comme les bulles d’une boisson gazeuse. Elles produisent parfois de beaux arcs-en-ciel sur le sol pavé. Il se confie à toi de façon calme et posée.

Zlatifouze : J’étais comme toi Akemi, une âme condamnée à errer dans le monde telle une feuille au vent. Un jour, j’ai découvert ce sanctuaire grâce aux indications contenues dans une bouteille à la mer. C’était sur la plage, juste-là, en contrebas, alors que des pensées tristes me tourmentaient. Je ne sais plus lesquelles, j’ai tout oublié de ma vie humaine, sauf la fin. Et là, une bande de créatures étranges, fantastiques à n’en pas douter, m’a proposé de résoudre leur énigme plus que tordue. J’ai rien saisi, mais alors rien du tout, contrairement à toi. Bravo d’ailleurs ! Elles étaient satisfaites de ça et m’ont demandé si exaucer des vœux me tenterait. J’ai vu là une occasion de retrouver goût à la vie, mais voilà où ça m’a mené. Les bestioles ne sont jamais revenues. Ah, les sales bêtes !

Quelques billes s’entrechoquent un peu partout sur l’être de verre.

Zlatifouze : Voilà mon histoire. Si tu veux un chocolat chaud à la vanille et aux copeaux de caramel, ça, j’en ai ! Je ressens, depuis, que je peux faire se réaliser des vœux. En huit mois, personne ne s’est présenté à moi, alors je ne sais pas ce que peut accomplir au juste mon pouvoir. Nous pouvons essayer ensemble.

Moi : Merci de me confier tout cela et oui, je veux bien un chocolat chaud à la vanille et aux éclats de caramel, si tu en prends un avec moi.

Je lui souris. Il semble triste et fragile dans sa confession et je ne peux m’empêcher de ressentir une compassion immense pour lui. Quelles peuvent être ces créatures sournoises qui l’ont piégé ici ?! C’est affreux. J’aimerais pouvoir faire quelque chose pour lui.

Moi : Donc, tu es tout seul ici depuis 8 mois ? Ce doit être dur. On peut peut-être essayer ton pouvoir en souhaitant quelque chose qui te permettrait de faire autre chose, si tu veux. Mon vœu est ton vœu, Zlatipate. Dis-moi ce que tu aimerais et je le souhaiterai pour toi.

Des billes au bout des bras de Zlatifouze se frictionnent. De là jaillissent quelques étincelles et diverses raies de lumière te font cligner des yeux un instant. Le moment suivant, un bocal d’un mètre de haut et de soixante centimètres de diamètre encombre le sol entre l’être aux pouvoirs magiques et toi. Il est entièrement rempli de chocolat fumant et par dessus, le caramel s’attendrit paisiblement dans un paysage de vanille, dénaturé par un grand bâton.

Akemi : Mais, Zlatipate, c’est énorme ! Je ne peux pas boire tout ça.

Il te tend une paille très fine et longue pour que tu puisses la plonger dans la boisson. C’est étrange, sa bouche ne ressemble à rien et pourtant, tu décèles un sourire taquin sur son visage.

Zlatifouze : La plupart, c’est pour moi. Je suis très très gourmand.

Il empoigne alors le bâton, qui est en fait sa propre paille, et commence à aspirer vigoureusement. Tout y passe, même les copeaux et la vanille. Tu te dépêches de siroter pour en avoir un peu. Ouf, c’était moins une !

Zlatifouze : Oui, c’est un peu dur, la solitude, mais ce genre de festin compense largement. Ahhh, je suis repus !

Tu ressens alors qu’il en fait autant dans l’espoir que tu ne ressentes plus de peine pour lui.

Zlatifouze : Mon vœu est aussi ton vœu… Ce qui veut dire… Hmmm… C’est ça ! Nous avons le même vœu ! Aller, je t’écoute.

Moi : Tu as raison, Zlatipate, je suis comme une feuille qui erre au vent.

Je ne parviens même pas à m’offusquer de sa supercherie. Je replie mes jambes contre ma poitrine et les enserre de mes bras, menton appuyé sur mes genoux. Le chocolat chaud ne m’a pas réchauffé le cœur. Cette improbable aventure m’a fait oublier, pendant un moment, le but de ma venue sur la falaise, mais tout semble se rappeler à moi désormais. Comme mon nouvel ami, je suis condamnée à une vie misérable d’errance et de solitude. J’aimerais, comme lui, juste pouvoir oublier ce triste destin.

Moi : Je n’ai aucune idée de ce que j’ai le droit de souhaiter.

Je regarde ce que je pense être le visage concentré de Zlatipate, discernant de nouvelles teintes améthystes dans ses billes brillantes, au travers des larmes qui emplissent mes yeux. Cet être magnifique invite au rêve, à la chaleur.

Moi : Je n’attendais plus rien de la vie, en fait. Te rencontrer aujourd’hui, je crois… Je crois que ça m’a sauvée. Tout m’a guidée jusqu’à toi. Depuis la corde, prête à lâcher, jusqu’à l’oiseau qui m’a poussée au fond de la grotte. Et l’air, plus pur, moins étouffant, qui m’a montrée le chemin jusqu’à ta caverne enchantée… Tu sais, j’ai l’impression que tu as déjà réalisé mon vœu. Aucun festin ne pouvait compenser ma solitude, mais ta compagnie m’apaise. Je suis bien, ici, avec toi. Je voudrais qu’on partage des chocolats chauds aromatisés, ensemble, pour toujours.

J’hésite à me relever et à contourner le verre géant, afin de serrer Zlatipate contre moi. Je ne sais pas comment il pourrait le prendre. Je me contente d’un nouveau sourire ému avant de fixer mes mains, désormais jointes sur mes genoux.

Zlatifouze se lève et s’approche de toi en tendant ses bras. Tu quittes le rebord à ton tour pour accueillir cette douce étreinte, quoi qu’elle est, en réalité, plutôt dure. Ton ami compense cela par de réguliers roulements de billes dans ses avant-bras. Ce massage dorsal fait s’envoler sans résistance toute ta souffrance. C’est vrai, ton vœu est, après tout, déjà exaucé.

Après un moment passé dans cette tendre position, l’être fantastique te relâche en douceur et prend un léger recul. Il lève les mains et dirige sa tête vers le plafond. Puis il retrouve une posture décontractée. Il réfléchit et recommence. Non… Toujours pas. Il tente alors plutôt de parler.

Zlatifouze : Moi, Zlatifouze Ermacopate, j’invoque les élém…

Ce n’est toujours pas ça. Il décide alors de retourner au centre du bassin.

Zlatifouze : Ah, je le sens. Je crois que c’est ça.

Il relâche ses épaules et prend une grande inspiration.

Zlatifouze : Le vœu de mon amie Akemi est d’être profondément heureuse !

Débute alors un bruit long et aigu, comme celui d’un doigt humide parcourant une flûte de cristal. Son intensité te fait vibrer au plus profond et Zlatifouze explose sous tes yeux en une nuée de milliers de papillons. Une fissure se crée au plafond, mais les gravas tombants se hâtent pour la reboucher. Au centre du bassin se tient désormais, agenouillé, un jeune garçon.

Ni les vibrations qui étreignent ma poitrine, ni les multiples couleurs des papillons ne peuvent détendre les muscles de mon visage, ou décoller la main, glacée d’effroi, plaquée sur ma bouche. Zlatipate, disparu ! Impossible. Pas de cette manière, pas sous mes yeux, alors qu’un instant plus tôt nous étions si proches, tous les deux. Je ne peux le croire. Ma voix s’est mélangée aux stridulations cristallines, aux entrechoquements des billes propulsées dans les airs et aux frictions de la pierre éclatée, muant mon cri en un silence sidéré. Au travers de mes larmes troubles apparaît alors la silhouette, prostrée au centre du bassin. Je trébuche en gagnant le bord.

Moi : Zlati… pate ?

Ce ne peut pas être lui. Il s’est volatilisé. Il a souhaité mon bonheur avant de disparaître tout à fait. Et désormais, un enfant se trouve là, devant moi. Il doit être âgé de 7 ou 8 ans. Mains appuyées sur le rebord du bassin, je me penche un peu plus, tête baissée, pour découvrir son visage immobile et silencieux. Il semble inconscient. Ou pas. Il redresse à peine le menton et, tout à coup, relève les yeux pour les poser sur moi. Mon corps se fige. Mon cœur cesse de battre durant une seconde, avant de repartir de plus belle, son écho tambourinant à mes oreilles tandis qu’une chaleur diffuse se répand jusque dans la moindre de mes cellules. Ce regard… Ces iris azurés, ouverture sur les profondeurs d’un monde aussi vaste et mystérieux que les océans… Je les connais. Derrière cette frange de cheveux bruns soyeux se cache des traits que j’ai déjà vus et aimés. Les traits de mon amour parti.

L’enfant tend la main vers moi. Une lueur opaline apparaît au creux de sa paume. Il se redresse un peu, s’accroupit dans une position plus confortable, avant de présenter à nouveau sa main à mon être tétanisé. C’est finalement son sourire timide et angélique qui agit comme un détonateur. Je retrouve le contrôle de mes gestes et le rejoins dans le bassin. La sensation lisse et glissante sous mes pieds me rappelle l’absence de Zlatipate, dont les billes avaient massé mes plantes, la première fois. L’eau est plus froide aussi, mais je n’en ressens pas la morsure. Pataugeant, le pantalon de plus en plus lourd, je retrouve l’enfant qui se met debout lentement, avec hésitation. J’arrive près de lui et lui tend un bras secourable au moment où il perd son équilibre. Sa main fraîche, posée sur mon avant-bras, renforce l’impression de chaleur qui me traverse. Nos regards se croisent et je sens mon âme se gonfler d’amour. Il me montre de nouveau sa main dans laquelle repose une bille de verre irisée.

Akemi : C’est mon ami, Zlatipate…
L’enfant : Quoi ? Tu connais Zlatifouze Ermacopate ?

La surprise est totale. Tu essuies tes yeux avec les doigts. Le garçon ne comprend vraiment pas ce qu’il se passe.

L’enfant : Comment pourrais-tu le connaître ? C’est mon ami imaginaire !

Il place la bille dans la poche de son bermuda et en sort un petit papier plié, froissé et teinté de bleu, comme le tissu.

Il me le tend et me laisse m’en emparer. Je regrette qu’il m’ait montré la bille lumineuse, pour la subtiliser ensuite… Je déplie sa feuille pour y découvrir le dessin approximatif d’un enfant accompagné d’une haute créature humanoïde composée de multiples perles colorées. Ils sont tous les deux occupés à boire à la paille dans un récipient immense. Un sourire m’anime. Il s’agit bien de mon ami Zlatipate. Le papier est humide et délavé. Alors que mes yeux retombent sur le garçon, il frissonne des pieds à la tête. Il est pieds nus dans le bassin et ses vêtements sont trempés. J’ôte ma veste polaire pour la déposer sur ses épaules, uniquement couvertes d’une chemise en coton, assortie à son bermuda. Son visage poupin et ses yeux infinis sont levés vers moi. Ce regard et sa ressemblance troublante avec mon fiancé auraient pu me faire sombrer dans les bras glacés des fantômes de mon passé, mais cet enfant m’ouvre, au contraire, des perspectives d’avenir jusque-là insoupçonnables. Inconscient de mon agitation intérieure, il attend des explications. Je hoche la tête.

Moi : C’est bien lui. C’est Zlatipate.
L’enfant, incrédule : Comment l’as-tu rencontré ?

Je lui résume mon aventure, après lui avoir indiqué que nous devrions sortir de l’eau. Il se laisse entraîner jusqu’au bord, enfilant ma veste et se blottissant dedans.

Moi : Et toi, qui es-tu ? Comment se fait-il que Zlatipate soit ton ami imaginaire ?

L’enfant : Bah, je sais pas. Un jour, il est entré dans ma chambre en passant par un trou qui envoie de l’air. On a fait plein d’aventures ensemble. Puis un autre jour, il a disparu…

Le garçon semble se rappeler de quelque chose. Il place à nouveau sa main dans sa poche et sort un autre papier, qui lui est roulé en boule. Il le déplie pour en dévoiler la teneur.

L’enfant : Ah voilà. C’est ça ! Regarde. Tu vois, j’ai trouvé ce truc dans une bouteille. Là, il y a de un, la falaise. Là, il y a de deux, le trou dans la falaise. Entre ces images, tu vois, il y a une corde et un panneau, entourés. Eh ben voilà. Quand j’ai vu ça, j’étais triste. Je pensais à Zlatifouze, parce que c’était une aventure taillée pour nous. Mais j’y suis quand-même allé tout seul.

Akemi : Comment ça ? Monter la falaise, mettre une corde, y descendre, affronter le noir ? C’est impossible. Tu n’as même pas neuf ans.
L’enfant : Euh pardon ? J’ai quinze ans !

Cette affirmation t’étonne vraiment. Ce garçon ne peut pas être aussi âgé.

Akemi : Regarde ton reflet dans l’eau et redis-moi ça.

Un air de défi sur le visage, il se penche au-dessus de l’eau et contemple son reflet.

L’enfant : Bah quoi ? Je suis censé voir la tête d’un gamin, c’est ça ?

Il se tourne de nouveau vers moi et je laisse échapper une exclamation de stupeur. C’est impossible, il a pris sept ans en sept secondes ! Le voilà adolescent, le corps plus élancé, le visage moins rond, le regard encore plus intense. Même sa voix a changé. C’est à n’y rien comprendre. Je me retiens au rebord du bassin, chancelante. Une magie est encore à l’œuvre ici. Le jeune garçon me dévisage d’un air intrigué en grattant un bouton, sous l’arête de sa mâchoire.

L’adolescent : Enfin voilà quoi. Je suis arrivé jusqu’ici.

Il hausse les épaules et reporte son attention sur le schéma qu’il vient de me montrer.

Oui, il est arrivé jusqu’ici en respectant les instructions trouvées dans une bouteille à la mer. Comme Zlatipate. Se pourrait-il que mon ami de verre et lui soient la même personne ? Se pourrait-il que ce garçon ait vécu ce que Zlatipate m’a raconté, qu’il ait rencontré des êtres fantastiques qui lui ont proposé d’exaucer des vœux dans cette caverne ? Et qu’il se soit transformé en la créature imaginaire avec laquelle il souhaitait vivre cette aventure ? En exauçant mon vœu, il est redevenu humain. Il m’est apparu enfant, car c’est ce qui manque à ma vie, mais il retrouve sa forme réelle maintenant que je tiens à lui, de toute façon… Non, tout cela n’a aucun sens. Je suis complètement larguée.

Moi : Bon. Comment t’appelles-tu ? Est-ce que tu sais comment on peut sortir d’ici ?

L’adolescent : Moi ? C’est Roumi. Regarde, là.

Roumi te montre un petit détail sur le schéma. Il y a un doigt et une ligne de petits trous. Tu comprends alors qu’en la suivant, il devient aisé de trouver son chemin dans ce dédale.

Roumi : Et toi, c’est quoi ton prénom ? Et d’abord, qu’est-ce que tu fais là ?

Tu lui réponds de façon un peu automatique, contrariée par le fait qu’il rajeunisse à nouveau. C’est vraiment étrange, mais tu ne vas pas le mettre à nouveau au défi de voir son reflet.

Roumi : J’suis redevenu un enfant, c’est ça ?
Akemi : Oui. Je n’osais pas te le dire… Comment as-tu su ?
Roumi : Ben déjà, tu fais une drôle de tête. Puis j’ai senti mes habits se desserrer. Ça fait du bien.
Akemi : Zlatipate m’a dit qu’il avait de tristes pensées quand il a trouvé une bouteille avec un message dedans sur la plage. Je pense que ton ami imaginaire racontait en fait ton histoire. Et si… non, c’est idiot.
Roumi : Aller, dis !
Akemi : D’accord. Je crois que le temps que tu es là, Zlatipate l’est aussi, puisque tu l’as créé. Pourquoi étais-tu triste ce jour-là, à la plage ?

Roumi change d’expression. Ses sourcils tombent, ses lèvres se resserrent et ses yeux se noient.

Roumi : C’est ma maman. Elle est morte.

Tu cherches à le consoler. Une question te vient en tête. Et si ce n’était pas qu’il rajeunissait, mais plutôt que le temps avait reculé ? Rajeunis-tu toi aussi de quelques années ? C’est difficile à savoir, mais peut-être après tout.

En tout cas, les égratignures récoltées sur mes mains pendant ma fuite dans les dédales de la grotte ont disparu.

Moi : Viens, Roumi. Sortons d’ici.

Roumi prend ta main et te suis. Les trous sur la paroi sont très pratiques et vous mènent à l’entrée de la grotte assez vite. Le cormoran fou n’est plus là, ni la forte odeur de poisson, comme si cet endroit avait toujours été dépourvu de vie.

Tu dis à Roumi de remonter à la corde en premier, quand tu remarques qu’en fait, il n’y a plus de corde.

L’évidence me frappe. Nous avons bel et bien remonté le temps. Notre seul espoir de repartir de cet endroit vivants est de retourner dans la caverne et d’étudier les stèles à nouveau. Zlatifouze n’est plus là, mais les créatures qui l’avaient attiré jusqu’ici sont peut-être revenues. Je fais part de mon raisonnement à mon jeune compagnon qui acquiesce. Nous revenons sur nos pas et regagnons facilement la cathédrale aux fenêtres d’ambres. J’inspire longuement avant de m’approcher du premier cartouche, en évitant la dalle escamotable. Roumi me suit de près.

Roumi marche en plein sur la dalle. Un nouveau cliquetis retentit. Tu lui dis de faire attention, que ces six dalles semblent enclencher quelque chose et que pour le moment, tu préférerais éviter que le plafond vous tombe sur la tête.

Roumi : Oups ! C’est Zlatifouze Ermacopate le cerceau de ma bande. Moi, je mets toujours les pieds dans le plat… Et question cervelle, c’est zéro ! Les énigmes m’ennuient à mort.
Zlatifouze : On a besoin de moi ?

D’abord attendrie par cette confession candide et sincère de Roumi, je deviens méfiante en entendant cette dernière question. Le gamin n’est quand-même pas ventriloque ?! À moins que Zlatipate soit vraiment revenu ! Je quitte Roumi des yeux pour regarder alentours.

Zlatifouze est vraiment de retour ! Tu le perçois aussi bien que tu vois Roumi. Cela doit être dû au fait que, comme tu as eu accès à l’imaginaire de Roumi, il fait désormais aussi partie du tien. Vous vous précipitez tous deux pour le serrer dans vos bras. La bille du garçon sort de sa poche pour entrer tout droit dans la bouche de la créature qui se met à la sucer comme une pastille de menthe.

Zlatifouze : Je crois que pour sortir, il faut enfoncer toutes les dalles devant les cartouches. Les quatre restantes, là, là, là et là.
Akemi : Pourquoi tu penses ça ? Moi, je croyais que c’était un piège.
Roumi : Un piège ? Pourquoi un piège ?
Zlatifouze : Si on regarde de très près les cartouches, on peut voir des petits chiffres à côté ou dans certaines lettres. Et si on les mets dans l’ordre, ça donne les mots « Dalles » puis « sortie ».

Moi : Quoi ? Mais… Tu n’aurais pas pu le dire avant ! Je croyais que tu n’avais rien compris aux énigmes des créatures qui t’ont laissé là ! Et puis d’abord, tu m’as dit que tu ne voyais rien. Tu n’as pas d’yeux !

Je suis furieuse et je me sens un peu honteuse, aussi. Mes deux comparses s’amusent, complices.

Moi : Bon. Ok, on actionne les dalles et on sort d’ici. Et après ? On a remonté le temps. Qu’est-ce qu’on va faire une fois dehors ?

Roumi : Te mets pas en colère, Akemi.
Zlatifouze : Oui. Je vais essayer de tout t’expliquer. Pour commencer, c’est vrai que je ne vois pas clair, mais c’est seulement quand Rourou n’est pas là. Il est mes yeux.
Roumi : C’est ça ! Et pour l’intelligence, Zlatifouze Ermacopate a dû se mélanger les billes, car c’est l’as des as !
Zlatifouze : Mais oui, c’est ça ! C’est à toi, en fait, que les créatures ont proposé l’énigme. C’est toi qui étais sur la plage et qui es venu dans cette falaise.
Roumi : Ben oui, j’y ai rien compris aux textes bizarres. Et comme tu n’étais plus là…
Zlatifouze : … Je suis désolé, mon ami. Tu ne me voyais plus après… l’accident.

Un léger moment de silence s’installe.

Zlatifouze : Bon ! Une fois dehors, Roumi, on sauve ta maman !

Ils sont si complices tous les deux. Leur histoire est tordue et je ne comprends pas tout, mais je ne peux m’empêcher de sourire en les voyant ainsi. Je me sens bien avec eux et je n’ai qu’une envie, les aider à sauver la maman de Roumi. Peu importe que nous ayons remonté le temps, que le gamin ait eu 15 ans et qu’il en ait maintenant 7 ou 8. Ni même que Zlatifouze m’ait fait la frayeur de ma vie en disparaissant, d’un seul coup, avant de revenir, tout simplement. La colère a un peu pris le dessus parce que je ne savais plus où j’en étais. Maintenant je sais.

Je ne suis pas surprise de découvrir que les traits de Roumi changent encore sous mes yeux. Il ne ressemble plus à mon fiancé évanoui. Il est lui, tout simplement. Pour être heureuse désormais, je n’ai plus besoin de me raccrocher au passé. Ou plutôt, au futur… Non, je n’ai qu’à sortir de cette grotte avec mes amis et faire en sorte que le petit aille mieux. C’est tout ce qui compte.

Zlatifouze, en faisant vibrer les billes de ses mains les unes contre les autres : Ça, c’est bien dit ! Alors on peut y aller !

Il a entendu mes pensées, évidemment. Sans demander plus d’explications, Roumi se précipite vers la première dalle que lui désigne l’être magique.

Tu marches alors sur les deux autres pierres en direction de la dernière. Craintive, tu marques un temps d’arrêt. Et si cette dernière dalle déclenchait un lâcher de plafond ? C’est simple, vous mourrez tous. Tu te tournes vers Zlatifouze, puis vers Roumi. Ils hochent tous deux la tête pour t’encourager à poursuivre. Tu fermes les yeux et avances. « Clic ».

Six tintements angéliques retentissent et chacune des fenêtres d’ambre disparaît. Tu le sens, car un frais courant d’air balaye désormais la salle.

Roumi : Regardez ! C’est les sales bêtes !

Tu remarques effectivement une forme s’avancer devant toi, dans la clarté de la galerie remplaçant la petite fenêtre devant laquelle tu te trouves. C’est une sorte de farfadet ou de leprechaun. Tu n’es pas très calée sur ce genre de créatures folkloriques. Pour toi, ce sont juste des nains de jardin, certainement magiques.

Xued : Nin hein !
Qnic : Né eh eh eh eh !
Siort : Hein hein hein.
Xis : Li hi wi di wi wi !
Ertauq : Oh oh oh oh !
Nu : Bonjour !

Moi : Euh, bonjour.

Je me racle la gorge pour attirer leur attention et les faire taire. Leurs rires sont insupportables !

Comme je m’y attendais, ces créatures sont de nouveau présentes, puisque nous sommes dans le passé, avant qu’elles ne cèdent leur place à Zlatipate.

Moi : Pouvez-vous nous dire si suivre ces galeries lumineuses nous conduira dehors ? S’il-vous-plaît ?

Je tente le coup, on ne sait jamais. Elles ne sont peut-être pas sorties de leur cachette pour nous lancer un nouveau défi.

Xued : Pourquoi voulez-vous sortir ?
Siort : Tu sais, c’est ainsi fait l’humain. Ça n’aime pas être enfermé.
Ertauq : Oh oh oh oh !
Qnic : Né hé hé. Pour sortir, il faut écouter Xis.
Xis : Ces galeries ne peuvent conduire que les gentes de taille adéquate. Vous autres pouvez boire cette décoction aux soixante-quatorze félins, à la mente religieuse et à la chauve-souris uniailiste. Cela vous ajustera.

Xis vous présente trois petites fioles, gardées chacune entre deux doigts de sa main droite, comme s’il tenait une étoile ninja. Ces compères en retrait gloussent et ricanent encore entre eux.

Je retiens la main de Roumi, qui s’apprête à prendre une fiole.

Moi : Nous avons besoin d’en discuter un instant.

Tournant le dos aux nains de jardin, non sans leur lancer un coup d’œil de temps en temps, j’attire mes compagnons à l’écart.

Moi : Ils sont vraiment louches, ces affreux trolls. Qui met soixante-quatorze félins dans une potion magique ? Un seul c’est déjà bien assez horrible !
Roumi : Mais si on veut passer…
Moi : Il y a peut-être une autre sortie ? Je ne sais pas. Ils sont bizarres. Ils se marrent encore dans leur coin. On dirait un piège. Dans Alice au pays des merveilles, quand Alice doit boire la potion, on ne lui dit pas les horreurs qu’il y a dedans ! C’est déjà plus engageant. Je crois que c’est trop dangereux. Il est hors de question que tu boives ce truc le temps qu’on ne sait pas l’effet que ça peut avoir. D’ailleurs, tu n’es pas bien grand. Tu devrais pouvoir y entrer, toi, dans ces galeries.
Zlatifouze : Akemi a raison. Je vais goûter la potion en premier. Si tout va bien, vous pourrez me suivre. Oh hisse, et une bouteille de rhum ! Enfin, une décoction d’animaux morts…

La mixture se boit en une unique goulée. Au départ, cela semble ne rien faire, puis une minute après, les billes lui tombent. En rebondissant sur le sol, elles s’évaporent. Bientôt, Zlatifouze Ermacopate ne fait plus que soixante-quatorze centimètres de haut !

Sous ce spectacle délirant, les créatures se roulent par terre. Tu trouves cela particulièrement exagéré. Roumi devient un peu inquiet.

Roumi : Dis Akemi, on retrouvera notre vraie taille après, hein ?

Comme Zlatifouze, tu n’y as pas pensé une seule seconde.

Nu : Votre véritable taille ?
Siort : Si vous nous dites ce qu’il faudrait faire, vous la retrouverez.
Xued : Sinon, vous resterez riquiqui gnihihi hihi hi.
Ertauq : Oh oh oh, que c’est rigolo !

Moi : Ce qu’il faudrait faire ? Oh non, pas encore une énigme !
Roumi : Il faudrait qu’après, je retrouve mon mètre vingt-neuf.

Siort prend des notes sur un carnet vert à spirales.

Moi : Quoi ? Mais comment tu sais que tu mesures un mètre vingt-neuf ? Tu pensais avoir quinze ans.
Roumi : Ah oui, tiens. Ça m’est venu comme ça. Mais je suis sûr que c’est bon.
Moi, interrogeant Siort : Ce sont les informations dont vous avez besoin pour nous rendre notre taille une fois que nous serons sortis ?

Le leprechaun confirme d’un hochement de tête, l’air goguenard, tandis que Xis sort quelques fioles supplémentaires de son manteau. Vides, celles-ci. Les autres sales bêtes continuent de rire.

Xis : Il faudra faire une autre potion. J’ai plein de trucs à mettre dedans, hi hi dwi hi wi !
Moi, pas très rassurée par ce qu’il pourrait concocter : Bon, j’imagine que Zlatipate devait faire dans les un mètre quatre-vingt.
Zlatifouze, la voix un peu plus aigu : C’est exactement ça !
Roumi : Et toi, Akemi ?
Moi : Moi ? Un mètre soixante-douze.
Nu : Inutile de tricher.
Xued : Nin hin hin !
Moi : Je ne triche pas !
Nu : Ah bon ? Tu n’en profites pas pour te grandir un peu ?

Je le fusille du regard et m’apprête à répliquer quand je sens la main de Roumi serrant la mienne. Je me tourne alors vers Xis et lui réclame les deux fioles de potions. Roumi et moi en avalons chacun une, d’une traite. Je sens le liquide, étrangement chaud, se répandre dans mes intestins avant de les tordre violemment. Pliée de douleur, je discerne à peine Roumi, accroupi par terre, les mains sur le ventre. Puis tout à coup, l’enfant se trouve bien plus grand que moi. J’inspecte mes pieds, sur les dalles immenses de la caverne, puis relève la tête vers lui. Roumi a fini par rétrécir à son tour et nous avons tous les trois, avec Zlatipate, retrouvé nos proportions précédentes vis à vis les uns des autres. Nous sommes seulement plus petits et, de surcroit, de la taille de ces affreux leprechauns qui, riant toujours de manière incongrue, nous invitent à entrer dans l’une des galeries.

Xis : Bien, il ne vous reste plus qu’à vous diriger vers la lumière. Venez, venez… mes petits.
Zlatifouze : Et les potions pour retrouver notre taille ?
Nu : Hein hein hin, y en a jamais eu besoin !
Siort : Oui, on voulait juste s’amuser.
Xis : Comme le vœu de la petite Akemi est d’être heureuse, tout se passera bien pour vous.
Xued : Oui, sa volonté propre peut régler tous les problèmes.
Ertauq : Et si un jour ce pouvoir n’est plus désiré, il s’en ira d’elle de lui-même.
Qnic : Bonne route les zouzous !

Heureusement qu’il n’y a pas besoin de potion ! J’avais peur qu’il faille y mettre autant de chats que de centimètres que nous mesurons à nous trois. Un vrai carnage. Je ne voulais tout simplement pas y croire.

Apprendre que le vœu que je sois heureuse, formulé par Zlatipate, nous ouvre toutes les portes me met un peu mal à l’aise. En même temps, ces leprechauns ont une telle façon de présenter les choses que je me demande si on n’est pas simplement morts et en route vers une espèce de paradis. Nous diriger vers la lumière, là où tout se passera forcément bien… C’est un peu ambigu.

Après avoir échangé un regard confiant, Zlatifouze et moi prenons chacun une main de Roumi pour entrer dans la galerie lumineuse.

FIN