Réflexions sur Samare 5/5
Un monde idéal, oui, mais pour qui ? Il est temps de réfléchir à l’identité de Samare. Comment cette cité peut-elle être perçue comme un el dorado pour certains et comme une menace pour d’autres ? Pourquoi ses habitants sont-ils heureux de vivre différemment des autres citadins ? Quels sont les règles et les principes des samarins ?
Pourquoi je ne veux pas parler d’utopie ?
Je préfère éviter d’employer le terme d’utopie pour définir mon histoire, car je crois qu’il a une connotation trop péjorative. En effet, l’utopie peut tout aussi bien renvoyer à la notion de monde idéal que de rêve irréalisable.
Mon but avec Samare est que le lecteur referme le livre en se disant : « Oui, nous pouvons encore agir pour améliorer notre quotidien, nos vies et le monde dans lequel nous évoluons ». S’il pense que le mode de vie décrit dans mon histoire n’est qu’affabulation et qu’il ne s’applique qu’à un monde imaginaire complètement déconnecté de notre réalité, le lecteur ne réfléchira pas à une adaptation possible de certains principes à notre monde. Pour éviter cela, Samare restera donc accrochée à des éléments du réel, même si l’histoire se déroulera dans un univers fictif. Des repères seront présents pour connecter la pensée du lecteur à son quotidien, tout en lui permettant de passer un bon moment d’évasion durant sa lecture (quête des ressources énergétiques, utilisation d’appareils électroniques parfaitement futiles, obéissance à des lois arbitraires, présence d’une police pour veiller à l’application des lois et non à la sécurité des gens, etc).
Si je m’en sors bien, à la fin, mon lecteur se posera des questions qu’il ne s’était encore jamais posées, il réfléchira à des solutions pour corriger des problèmes qui ne l’intéressaient guère jusque-là et il se sentira enclin à partir à la recherche du bonheur pour tous.
Belle idée, non ?
Le monde idéal de Samare
Alors, oui, j’aimerais que la vie dans Samare soit perçue comme meilleure qu’ailleurs. Je voudrais que ses habitants aient envie de participer aux activités de la communauté et que ce modèle les inspire pour faire évoluer les autres cités du monde. Seulement voilà, une question se pose (encore) : le monde décrit peut-il être perçu comme idéal par tout le monde ?
La réponse est négative, évidemment. J’ai beau réfléchir à ce qui pourrait convenir à tout le monde, je ne peux pas faire de miracle. La cité idéale que je vais créer ne répondra probablement qu’à mes attentes personnelles. Certaines personnes y retrouveront sans doute des valeurs auxquelles elles sont attachées, mais tout ne peut pas convenir à tout le monde. Le mieux serait quand-même que des lumières s’allument, quelque part dans les esprits. Pour cela, j’aimerais aborder plusieurs thématiques ou questions morales pour organiser la cité et permettre le bon développement de ses habitants.
Je vais établir la liste de ces points importants, mais ils ne sont pas encore vraiment régis par une logique. Je dois trouver la colle qui les liera convenablement.
- l’antispécisme : l’humain ne doit pas occuper une place plus importante que les autres animaux. Il n’est pas supérieur et vit en harmonie avec toutes les espèces de la nature.
- le bonheur et le bien être de chacun sont une priorité (mais il faut penser aussi au conflit collectivité/individualisme, car des actions entreprises pour le bien de tous peuvent ne pas convenir à des personnes en particulier)
- tout le monde est égal, quelques soient les particularités de chacun (ce qui signifie qu’il n’y a pas de préférence, de « piston » ou d’héritage quelconque en fonction de la naissance des gens)
- portes ouvertes aux nouveaux arrivants, accueil discret et respect de la personnalité de chacun (si un nouveau venu est timide, on ne va pas l’obliger à se présenter devant tout le monde lors d’une fête de bienvenue)(dans ce cas, comment intégrer les nouveaux et leur faire part de l’éthique de Samare ? Il faut permettre un dialogue à l’initiative du nouvel arrivant. Mais avec qui ?)
- ne pas manger d’animaux
- respecter la nature (en aidant à reconstruire des terriers ou des nids et en replantant des arbres quand on en coupe, apporter un endroit où vivre aux animaux génétiquement modifiés de la Capitale et les aider à mieux vivre, par exemple)
- enterrer les morts sans produit ni boite pour favoriser l’écosystème dans le sol (rendre à la terre ce qu’on lui prend)
- ne pas produire plus que nécessaire (gestion des ressources en évitant le gaspillage, notamment grâce aux repas en salle commune avec inscription préalable pour comptabiliser les parts de chacun)
- recycler tout ce que l’on peut recycler (objets jetés par les capitains réutilisés pour fabriquer des appareils à Samare, mais avec le nouveau mode d’énergie)
- un bon apprentissage des valeurs : tout le monde doit arriver à penser la même chose sur ce qui est vrai et juste
- pas de lavage de cerveau
- libre arbitre et esprit critique encouragés
- pas d’école structurée (avec murs de salle de classe et horaires à respecter), mais plutôt partage des connaissances entre les anciens et les jeunes, mise en place d’un plan d’activités pour échanger les savoirs (peut servir pour l’intégration des nouveaux)
- pas de compétition, mais plutôt une volonté d’atteindre le niveau des autres grâce à leur enseignement et volonté de transmettre à son tour son savoir
- accès illimité aux savoirs (grande bibliothèque)
- ouverture d’esprit initiée par les arts (sortes de clubs où ceux qui veulent pratiquer les arts se réunissent : architecture, peinture, musique, etc)
- conscience de l’équilibre bien/mal, présent dans la nature même et inéluctable (les intempéries peuvent causer des problèmes de récoltes, par exemple, ou bien le courant de la rivière apporte les déchets de la Capitale à Samare, mais il faut vivre avec et régler le problème au jour le jour en attendant que les idées des samarins atteignent les capitains et que la Capitale adopte un autre mode de vie)
- une organisation géopolitique qui n’en est pas vraiment une
- personne ne dirige personne (certains personnages sont perçus comme des conseillers, notamment Thémmé, parce qu’ils étaient là à la fondation de la cité et il émane d’eux une certaine sagesse, respectée de tous. En aucun cas pourtant la voix de ces personnes a plus de valeur que celle des autres)
- écouter les idées de chacun pour améliorer la vie dans la cité et prendre les décisions en assemblées générales
- découper la cité en plusieurs zones, habitées par un nombre à peu près égal de samarins pour faciliter les assemblées (mais circulation libre de tout le monde dans la cité) (recensement de la population nécessaire afin de gérer la création de nouvelles zones)
- les idées proposées en assemblée dans une zone sont transmises aux autres zones et discutées (des volontaires se proposent pour discuter avec les volontaires des autres zones, le nombre est illimité et les « porte-paroles » peuvent changer n’importe quand, selon la volonté des gens. Si des idées sont contestées, elles ne sont pas appliquées, mais continuent d’être discutées, modifiées et arrangées de telle sorte qu’elles puissent convenir à tout le monde et au bien commun)
- vie en communauté avec confiance, amour et partage (volonté de faire plaisir aux autres avec nos capacités propres)
- pas de travail forcé pour pouvoir survivre, chacun participe aux activités qui l’intéresse pour le bien de la communauté toute entière
- personne n’attend rien en retour de son investissement personnel (respect de ceux qui ne s’impliquent pas ouvertement ou très peu, comme Rena)
- pas d’argent/de monnaie (tout appartient à tout le monde et les gens apprennent à se satisfaire du nécessaire et se passer du superflus. Si quelqu’un consomme plus de denrées que la quantité moyenne pour une personne, par exemple, elle compensera volontiers en offrant plus de sa personne)
- lieux de vie communs (repas, fête, activités, assemblées, bibliothèque), mais aussi endroits réservés à l’intimité (aller dormir tranquillement, se rendre aux sources chaudes ou utiliser une salle de bain individuelle)
- pas de propriétés privées (sauf pour les chambres qui devraient toutes être identiques, accessibles dès l’arrivée dans la cité. Des échanges sont possibles si quelqu’un préfère se trouver à proximité de la rivière ou des bois, par exemple)
- nouvelles chambres construites en vue des nouveaux arrivants à Samare (la cité se découpe en couronnes successives, des cabanes sont installées dans les bois, par exemple)
Comment le monde idéal pourrait-il être transposé dans le monde réel ?
Pas de signes temporels distinctifs
L’histoire doit se dérouler dans un contexte neutre. Samare ne se situe à aucune époque. Il n’y a pas de parallèle politique possible avec notre monde puisque seul un gouverneur prétend au pouvoir, sans pour autant être reconnu comme le dirigeant par tout le monde.
Les repères dont je parlais plus haut, pour raccrocher le lecteur à sa réalité, ne se situent donc pas à ce niveau, mais plutôt dans l’utilisation des appareils de communication modernes, des moyens de transports, dans l’impact qu’a le gaspillage sur la vie des gens, etc. Ne pas ancrer le roman dans une situation politique précise permet de le transposer à n’importe quelle époque et, de ce fait, de continuer à véhiculer son message même dans mille ans.
Des humains crédibles
Les humains présents dans l’histoire doivent ressembler aux véritables humains de notre monde. Ils ne peuvent donc pas tous accepter de suivre des principes moraux qui ne leur ressemblent pas. Par exemple, tout le monde ne peut pas accepter de ne pas manger de viande ou de poisson. L’humain n’est ni bon, ni mauvais, donc ceux de mon histoire doivent paraitre plutôt neutres, influençables. Ils doivent peser le pour et le contre de ce qui se présente à eux, comme quelqu’un de la réalité. Ils auront parfois du mal à tout partager avec le reste de la communauté, comme dans la société individualiste dans laquelle nous vivons actuellement C’est pourquoi l’apprentissage des valeurs et le bon sens sont importants à Samare alors que les capitains ont plutôt tendance à se laisser bercer par le roulement de leur train train quotidien, sans se poser trop de questions.
Le fait que les humains nous ressemblent implique également la confrontation entre les notions de bonheur et de malheur. Qui peut prétendre savoir ce qu’est le bonheur ? Sommes-nous heureux dans la vie ? Certains sentent qu’ils le sont. Il est évident que d’autres ne peuvent pas en dire autant.
Dans Samare, ce doit être pareil. Les samarins aspirent à vivre ensemble, en harmonie et heureux. Pourtant, certains personnages de l’histoire font des sacrifices pour le bien-être des autres. Rena dissimule son mal pour ne pas l’infliger à ses amis, Thémmé se fait passer pour un méchant afin de tenir le gouverneur à distance de Samare, et Conrad fait semblant d’être un bon samaritain alors qu’il est le mal incarné. Tout le monde a ses propres raisons d’agir et ce n’est pas toujours dans l’intérêt de la communauté. La dualité bien/mal existe et n’a pas de définition propre. Tout est une question de point de vue, comme dans la vraie vie.
Une évolution dans le temps
Si Samare repose sur un passé mystérieux, ses valeurs n’auront aucun poids. Il faut que les bases de la réflexions soient solides. C’est pour cette raison que j’ai décidé de bannir une énorme partie de tout ce qui devait être magique. J’aimerais garder la notion de « guide spirituel », incarné par Martha, ainsi que le côté inexplicable de la « guérison » de Rena qui peut paraitre à la fois magique et scientifique. Il est possible qu’Arletty et Romarin aient découvert un nouvel aspect de l’énergie naturelle. Ce sera au lecteur de choisir l’explication qui lui convient le mieux.
Par contre, le fait que les fondateurs parviennent à créer un appareil capable de récupérer l’énergie présente dans la nature et de la restituer pour une utilisation humaine est plausible, même si les procédés scientifiques utilisés ne sont pas valables dans la réalité. Cette crédibilité assure (en théorie) une meilleure évolution de l’histoire dans le temps. On peut imaginer que, un jour ou l’autre, l’humain sera bel et bien capable de créer ce genre de machine et on peut espérer qu’à ce moment-là, d’autres principes seront également applicables (ou déjà appliqués).
Après énumération de mes réflexions sur le sujet, je me rends compte que tout est encore très « brouillon ». Je ne sais pas comment assembler tout ça et y inscrire une histoire. Il faudrait que l’on voit que, même dans une cité aux habitudes et aux principes aussi lointains de ceux que nous connaissons, il est possible de vivre. Si une romance et une quête peuvent s’intégrer dans ce contexte, alors tout est possible. Gardons espoir !Pour préciser tout cela, je ferai probablement un article spécifique par « point important » concernant le développement de ma cité idéale.