Akemi no sekai

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Retour dans le monde sinueux de l’écriture · Faire publier son roman à compte d’auteur

Samare, nouveau début

Publié le 30/05/2016 dans Samare.

J’ai beaucoup réfléchi au monde de Samare, à son mode de fonctionnement et au sens général de l’histoire. Je n’ai pas encore obtenu toutes les réponses à mes interrogations et je ne sais même pas vraiment où je vais, mais j’avais envie d’écrire. J’ai visualisé une scène qu’il me fallait retranscrire. Je ne sais même pas si ça donne quelque chose de bien. Je la vois tellement clairement dans ma tête qu’il manque sûrement des tas de détails pour qu’un lecteur la perçoive aussi.

Samare

1 - Rena

L’engin filait à toute allure à travers la forêt, ses deux pneus crevés flottant au-dessus de la mousse et des brindilles grâce à l’énergie naturelle. Rena avait récupéré cette vieille moto à la décharge de la Capitale et l’avait arrangée pour ne plus avoir à y déverser de l’essence. Ses catalyseurs en bois fixés sur les jantes rouillées repoussaient les ions présents par terre tout en étant attirés par eux, comme des aimants. Des étincelles bleutées pétillaient tout autour des roues devenues inutiles.

Cela faisait déjà quelques années que, chaque soir, Rena s’évadait sur cet appareil incertain, avalant sans un bruit des kilomètres déserts pour rejoindre les montagnes du nord et regarder la nuit se lever sur les plaines de la félicité. C’était là-bas qu’il se rendait lorsqu’il sentit des émanations énergétiques inhabituelles. Il fit demi-tour à la lisière des arbres. Le guidon se mit à trembler sous le coup de l’accélération. Rena serra davantage ses cuisses autour du corps de l’engin et se pencha un peu plus en avant. Une grimace étirait ses lèvres. Il réprima un grognement en cambrant le dos. Sa chemise battait ses côtes au rythme du vent. Deux trous cousus de manière symétrique, comme des grosses boutonnières, déformaient le tissu au niveau de ses omoplates.

La lumière du crépuscule éclairait encore le sous-bois, mais le soleil était déjà passé derrière la ligne d’horizon. Rena tourna une nouvelle fois la poignée de l’accélérateur, poussant la moto dans ses retranchements. Il préférait quitter la cité pour la nuit, mais la curiosité le poussait à rester. C’était la première fois depuis son accident qu’il percevait une masse d’énergie similaire à la sienne. S’il était possible que quelqu’un soit comme lui, il voulait le savoir.

Rena slaloma entre les troncs sans diminuer l’allure. Une odeur étouffante de fumée l’enveloppait désormais et il envisageait sérieusement d’abandonner sa vieille moto lorsqu’il tourna au coin d’un bosquet et comprit que ce n’était pas elle qui prenait feu. Le train de Samare était couché sur le flanc, à plusieurs mètres des rails magnétiques, et sa locomotive en bois flambait comme une torche. Un cri perçant fit lever la tête à Rena. Un aigle énorme tournoyait au-dessus du wagon qui commençait aussi à se consumer. Les plumes du volatile, d’un bleu cuivré étonnant, laissaient émaner de multiples pétillements, comme les catalyseurs rafistolés de la moto.

L’oiseau plongea vers le train en feu dans un nouveau cri. Ralentissant à peine, Rena le regarda fondre sur une fenêtre. Un réement étouffé lui apprit qu’un cervidé devait se trouver à l’intérieur. La vitre éclata. Une jeune femme émergea alors du wagon, son corps inanimé flottant au-dessus de la carcasse comme si le temps s’était soudainement arrêté. Le souffle chaud s’engouffrait sous ses vêtements et dans ses longs cheveux, ralentissant son inévitable chute. Rena écarquilla les yeux. L’aigle allait la rattraper dans ses serres.

Sans réfléchir davantage, Rena sauta de la moto encore en marche. Tandis que celle-ci poursuivait son chemin, couchée sur le côté, et s’écrasait contre le tronc d’un vieil arbre, lui déployait ses ailes. Il ne possédait pas de plumes, comme le rapace qui lui faisait face, mais des rameaux de frêne. « Une chance que ce soit la pleine lune », songea Rena en n’en revenant pas de penser une chose pareille.

Depuis dix ans, à la tombée de la nuit, ces excroissances poussaient sur son dos, s’articulant autour de ses omoplates comme de véritables ailes. Elles passaient de l’état de simples brindilles, à peine visibles, au premier croissant de lune, à celui de branchage verdoyant, bourgeonnant, mais aussi contrôlable, à la pleine lune. C’était le seul moment où il était capable de voler.

Rena avait seulement huit ans lorsqu’il avait été frappé par un éclair étrange, durant une tempête, ce qui avait engendré sa mutation hors du commun. Il n’avait jamais entendu parler de quelqu’un qui subissait le même supplice et depuis ce malheureux jour, il s’exilait de peur de passer pour un monstre. Il ne souhaitait partager son fardeau avec personne et seule sa mère connaissait son secret. Il faisait tout cependant pour lui épargner sa présence et elle-même ne semblait pas capable de lui venir en aide. Chaque transformation était douloureuse, même la plus infime, et Rena partait à moto dans le désert pour être certain que ses cris de souffrance ne seraient entendus de personne.

Ce soir, ses ailes avaient poussé alors qu’il fonçait vers cette subite source d’énergie qui lui avait hérissé les poils de la nuque. L’aigle majestueux et le cerf qu’il n’avait pas encore aperçu en étaient l’origine. Ces animaux avaient eux aussi subi une mutation inexplicable et Rena avait bien l’intention de découvrir comment. Mais pour l’heure, il se souciait davantage de récupérer la demoiselle dont le sort ne paraissait pas très réjouissant. S’il ne se hâtait pas, soit elle retomberait dans la carcasse du train en feu, et la chute la tuerait probablement avant que les flammes ne l’engloutissent; soit l’aigle la saisirait dans ses pattes et la lacérerait avec ses serres.

Rena souleva ses ailes au prix d’un terrible effort qui le fit rugir, mais il parvint à accélérer la cadence. Il atteignit enfin le train, s’y jeta et s’y laissa glisser de tout son long. Il ne lui restait plus qu’à atteindre la fenêtre brisée. À cette vitesse, il rejoindrait la jeune femme et la rattraperait par en-dessous. Le rapace descendait précautionneusement au-dessus d’elle comme s’il était soucieux de ne pas la bousculer ou d’éviter de précipiter sa chute. Rena fronça les sourcils. La créature ne semblait pas désireuse de faire de cette pauvre fille son dîner. Elle paraissait plutôt vouloir la sauver.

Le regard étincelant de l’oiseau se posa subitement sur Rena qui eut l’impression que son cerveau s’arrêtait de fonctionner. Il était hypnotisé. Tout un tas d’images s’imposa à son esprit comme s’il regardait par les yeux de quelqu’un d’autre. Par ceux de l’aigle.

Il vit la forêt défiler rapidement. Un cerf immense galopait en contrebas, ses sabots crépitant d’électricité chaque fois qu’ils foulaient le sol. Une explosion retentit au loin et une colonne de feu jaillit entre les arbres. Bientôt, il survola le train accidenté tandis que son compagnon pénétrait dedans. Un nouveau changement de point de vue s’opéra et Rena se retrouva dans le wagon, à la place du cerf. Des corps brûlés, méconnaissables, gisaient autour de lui. Il avança jusqu’au bout de l’appareil et découvrit une jeune femme, recroquevillée dans un coin. Il avança vers elle, mais elle se mit à crier. Rena baissa la tête, qui était en fait celle du cerf, et vit que ses propres pas enflammaient davantage le bois du train. Il hésita, regarda autour de lui, et vit la vitre au-dessus d’eux. Le train avait basculé sur le côté, c’était le seul accès vers l’extérieur. L’aigle demanda s’il y avait des survivants. Rena répondit en réant. Il y avait une fille. Il allait la lui envoyer par la vitre. Il pencha alors la tête vers la jeune femme et agita sa ramure. Elle recula autant que possible. Rena renouvela malgré tout son geste en gémissant. Elle finit par tendre une main tremblante vers ses bois. Il précipita son mouvement pour qu’elle le touche enfin. Il n’y avait pas de temps à perdre. Elle finit par comprendre qu’elle pouvait s’agripper à lui et lorsqu’elle fut bien calée sur son cou, il la souleva vers la vitre. Elle enroula sa chemise autour de son poing et brisa le carreau sans hésiter, baissant rapidement la tête pour se protéger les yeux. Rena la projeta aussitôt par l’ouverture. Elle ne paraissait pas s’y attendre, car elle ouvrit la bouche dans un cri muet avant de perdre conscience.

L’esprit en ébullition de Rena se réveilla d’un seul coup. Il était de nouveau lui-même et il comprit qu’il venait d’assister à l’arrivée des deux animaux sur le lieu de l’accident. Le temps ne semblait pas s’être écoulé pendant que l’aigle lui transmettait leur découverte du train. Lorsque Rena réalisa qu’il glissait encore sur la paroi brûlante de l’appareil pour récupérer la jeune femme, il arrivait tout juste à sa hauteur. Le volatile faisait désormais du surplace, comptant apparemment sur lui pour se charger du sauvetage. Rena cala instinctivement son pied contre l’ouverture du train pour dévier sa trajectoire et ne pas tomber dans le trou. Ignorant la douleur qui lui engourdit le talon lorsqu’un morceau de verre s’y enfonça, il tendit les deux bras, les enroula rapidement autour de la taille de la demoiselle et la serra contre son torse alors qu’il poursuivait sa glissade jusqu’en bas du wagon. Il bascula sur le côté, arrachant sa manche sur le bois craquant, et s’efforça de redéployer ses ailes avant d’atteindre les pâles d’arrêt d’urgence qui s’étaient ouvertes sous le train pendant l’accident. Rena contracta tous les muscles de son corps et parvint enfin à soulever son propre poids et celui de sa passagère. Il s’éloigna au moment où une nouvelle explosion détruisait le reste du wagon.

À voir pour la suite.