Akemi no sekai

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À propos
Tranche de vie et dystopie · 💖 Le syndrome du spaghetti de Marie Vareille

Frayeur nocturne, court texte

Publié le 19/05/2022 dans Mes écrits.
couverture du livre

Un étrange rêve, plutôt dérangeant et complètement fou, m’a déstabilisée la nuit dernière. Il s’agissait plus d’un cauchemar duquel je peux comprendre certains éléments – des dents arrachées ! –, mais qui reste un mystère tout de même. Comment fonctionne l’inconscient pour être capable de fournir des situations aussi étranges ?

Après un dur et long moment de désespoir et de pensées obscures, j’essaie de positiver. Lorsque je vois les choses en noires, je cherche la lumière. Je m’efforce de ne pas prendre les choses trop à cœur, laissant de côté la sensibilité, et je fais tout mon possible pour me libérer des relations toxiques. Ce n’est pas simple. Il y a des hauts et des rechutes. Néanmoins, je sens que je suis moins déprimée et aussi, moins en colère parfois. Il y a encore des doutes, des interrogations, des soupçons de regrets je crois, mais je m’accroche. Ma décision de chasser les pensées troubles et de chérir ce qui est devant moi me parait être la bonne. J’imagine que toute la frustration, la tristesse et la haine passablement maîtrisées refont surface lorsque ma vigilance s’endort; durant les rêves.

Avec la transformation subie après le réveil, et une autre période de sommeil, je vais tenter de relater ce mauvais rêve – dans le sens où il était perturbant, pas pour sa qualité émotionnelle ! – dans une courte histoire.

Environ quatre minutes de lecture.

Frayeur nocturne

Je marche dans un espace à ciel ouvert. Il y a foule. Tout le monde se dirige dans la même direction, une sorte de file d’attente se forme. Je finis par déboucher dans un escalier obscur, tout de bois. Le plafond est assez bas, l’air est de plus en plus suffocant, les peintures brunes sont fraîches. Je monte, encore et encore, suivant le colimaçon qui parait interminable. Les autres se plaquent sur les côtés et me regardent passer, l’air anxieux. Certains me dévisagent, d’autres baissent les yeux. Je vois quelqu’un prier… Je m’aperçois tout à coup que je tiens un trousseau de clés à la main. Il me semble d’une lourdeur extrême. Je le porte avec d’autant plus de difficultés lorsque j’atteins le dernier palier, extrêmement lumineux.

Une fois l’aveuglement passé, je découvre un vaste espace aménagé de bureaux contigus. De plus petites pièces l’entourent, séparées de la salle principale par des portes vitrées. À perte de vue, le ciel azuré. Le tout parait immense et ouvert, mais il n’y a aucune issue. Les fenêtres donnent sur le vide, l’escalier est bouché. Un groupe déjà important de personnes est réuni là, tassé contre les vitres tandis que les autres s’amassent derrière moi. La tension de l’air est palpable. Je sens de lourdes gouttes de sueur glisser le long de mon dos et sur mes tempes. Mon souffle est court, mon rythme cardiaque soutenu. Le moment de vérité semble arrivé. Mais quelle vérité ?

Tous les regards sont rivés sur moi. Les paumes levées, je tâtonne dans l’air à la recherche de notre salut. Mon geste semble vain et je commence à désespérer quand soudain, mes doigts frôlent une surface solide, invisible. Mon index caresse les contours d’une serrure que je ne vois pas. Enfin, je peux insérer la clé ; la plus grosse, celle qui tire sur mon avant-bras à l’en arracher. Un déclic retentit. L’espoir gonfle la foule qui devient de plus en plus oppressante.

Un cri suspend la suspension même du temps. Face à moi, la bouche en sang, un homme regarde l’une de ses molaires flotter devant son visage déformé par la peur. Bientôt, les manifestations d’effroi et de douleurs se propagent. Les dents s’arrachent et s’agitent dans les airs en une danse macabre écarlate.

Ravalant mon agonie, je hurle : « Viens ! Présente-toi devant moi, Satan ! Aller, viens ! ». Le sang gicle entre mes lèvres, les nouvelles cavités dans ma bouche me déséquilibrent, mais je vois à peine ses parties de moi qui s’envolent à travers la pièce. Le rouge m’est monté aux yeux. La rage m’aveugle. Nous avons échoué. Nous sommes prisonniers de ce diable sournois qui reste tapi dans la lumière étouffante. Rendu fou par la peur, un homme se met à crier plus fort que moi. Il a perdu tout espoir lui aussi. Il a compris que j’avais échoué ; que ceux qui croyaient en cette clé ont échoué. Il fend la foule et se réfugie dans un bureau, décidé à résoudre l’énigme seul. Alors qu’il se penche sur ses notes effrénées, celles-ci forment un tourbillon d’encre et d’incertitude autour de lui, l’enveloppant tout à fait.

Je perds l’esprit pour de bon. Une fois de plus, je provoque le démon qui nous a enfermés ici en l’intimant de se montrer. Je veux l’affronter en face. Je veux regarder dans les yeux la créature immonde qui a su piéger les faibles âmes humaines. « Aller, viens ! ». Le voilà. Enfin. Il se précipite vers moi et je me demande s’il ne va pas me plaquer au sol. J’arque mon corps, prend un appui solide sur mes pieds et lui fonce dessus la première. Jamais je n’ai ressenti une telle haine. Je frappe, je griffe, j’essaie de détruire la moindre partie de ce corps si semblable au mien. Pourquoi Satan prendrait-il une apparence aussi simple, aussi fragile ? Je relève le corps devenu malléable de mon ennemi et me prépare à le jeter dans la vitre la plus proche. Je l’empoigne vigoureusement et projette mes dernières forces, mes derniers espoirs. Peut-être que le détruire nous sauvera ? Entre deux de ses râles libérés dans une expectoration sanglante qui me parut salvatrice, sur le coup, je comprends que c’est le visage d’un innocent que je viens de détruire. Mais déjà, il est passé de l’autre côté de la fenêtre. Son corps en lambeaux semble tomber dans une chute infinie tandis que la vitre, intacte, m’empêche de sauter à sa suite. Seul son sang vermeil, resté de notre côté de la prison, coule avec lenteur sur la paroi vitrée, mû par une gravité qui lui est propre. Et c’est le rire du Roi des Enfers qui résonnent dans ma vie meurtrie.