Akemi no sekai

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Dragon et plancton, court texte · Langages (par Diatomée)

Samare : ma trilogie de fantasy

Publié le 15/05/2015 dans Samare.

Je vous ai parlé plusieurs fois de ma trilogie de fantasy, mais je ne vous en ai pas encore fait profiter.

Je fais une pause dans le roman réaliste pour le concours, donc je retravaille un peu Samare. Voici le premier chapitre du tome 1. Je ne sais pas encore comment chacun des tomes va s’intituler, ce titre-là est provisoire. Ce qui est sûr, c’est que la correction ne fait que commencer et je risque fort de modifier encore pas mal de choses. Si vous trouvez des coquilles, merci d’être indulgents et de me les signaler ! ^^

Environ 12 minutes de lecture.

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Samare

Il pleuvait. L’eau ruisselait sur mon imperméable et gouttait dans mes bottes que je faisais clapoter au milieu d’une flaque. Je me tenais tout au bord du quai déserté par les autres passagers qui avaient préféré s’entasser sous l’abri le plus proche. Ce temps rendait la gare encore plus sinistre que d’ordinaire, comme le reste de la cité, mais pour une fois je m’en fichais. Je remarquais à peine l’eau s’écoulant lentement sur le sol maçonné et décollant les affiches publicitaires gondolées. Je me laissai même aller à sourire, car malgré le froid et la pluie, ce jour était exceptionnel pour moi.

Une voix retentit dans les hauts parleurs pour indiquer l’arrivée du train alors que celui-ci longeait déjà le quai à vive allure, ramenant une bourrasque et de la fumée avec lui. Mon capuchon s’envola, et je me retrouvai aussitôt trempée. Je saisis la poignée de ma valise et m’écartai vivement avant que la foule de passagers ne m’envoie voler dans le décor en se ruant vers les portes du train arrêté quelques mètres plus loin.

Je parvins enfin à monter à bord et une fois les personnes situées devant moi dispersées, je tombai nez à nez avec le contrôleur qui me tendit une main potelée d’un air las. J’y déposai mon billet humide et froissé, souriant toujours, mais il ne me prêta aucune attention. Il était déjà fixé sur le morceau de carton qu’il avait commencé à enregistrer dans son boîtier de contrôle. Je baissai la tête et attendis, comptant mentalement les gouttes qui dégoulinaient régulièrement de mes vêtements et rebondissaient sur la moquette délavée du wagon.

Ploc, ploc.

L’homme finit par se racler la gorge et je remarquai sa tenue étonnement négligée alors que je relevai la tête vers lui. Il portait des souliers noirs qui n’avaient pas été vernis depuis longtemps, ainsi que l’uniforme vert émeraude de la compagnie ferroviaire. Celui-ci lui allait plutôt mal. Son pantalon trop court laissait apparaître des chaussettes sans élastique et sa veste déboutonnée semblait trop serrée pour lui. De plus, il était mal rasé et ses yeux cernés et gonflés indiquaient clairement qu’il manquait de sommeil. Je saisis le ticket qu’il me rendait en le remerciant et m’avançai dans l’allée qu’il m’indiqua machinalement sur sa gauche.

La plupart des sièges étaient déjà occupés par les gens qui s’étaient précipités comme des fous devant moi. Certains me dévisageaient curieusement lorsque je passai près d’eux, grimaçant et se recroquevillant au fond de leur siège. Je finis par comprendre qu’ils voulaient tout simplement éviter que je ne les mouille, car l’allée était étroite. Je me faufilai donc comme une petite souris le long du wagon, m’excusant chaque fois que ma valise cognait le pied d’un passager boudeur. Un gamin vêtu d’un uniforme d’étude anthracite me tira la langue sans retenue lorsque j’arrivai à sa hauteur et il tendit la jambe sur le côté en ricanant. Il espérait sans doute que je trébuche dessus. Sale garnement… Je l’enjambai et pris soin de laisser ma valise butter contre ses mocassins. Le garçon siffla de colère avant de donner un coup de pied sur mon bagage. Je me retournai et lui tirai la langue à mon tour.

Je poursuivis mon avancée jusqu’à une banquette où restait un siège libre et je m’y installai discrètement après avoir glissé mon bagage dans le filet prévu à cet effet. Je sentais les regards scrutateurs de mes trois voisins lorsque je me tortillai maladroitement sur place pour retirer mon imperméable qui dégoulinait toujours. Je fis mine de ne pas les remarquer et le roulai en boule pour l’enfoncer entre les pieds de la banquette. Je fixai ensuite mes mains fripées et glacées par l’humidité en souhaitant que le voyage se termine au plus vite. J’étais pressée d’arriver à destination, mais cela ne faisait que commencer.

La même voix qui avait résonné sur le quai indiqua le départ du train au moment où les portes se fermaient. J’aperçus brièvement le contrôleur, à l’autre bout du wagon, qui s’asseyait sur la petite banquette — bien trop étroite pour son large postérieur — qu’il venait de déplier face à la porte. Il avait toujours son air blasé et il sembla se consoler en déballant une barre chocolatée. Cette scène me fit sourire.

Le jeune homme assis à ma droite, près de la vitre, me demanda brusquement :

— Qu’est-ce qui vous fait rire comme ça ? Le temps est si morne !

Je voulais faire mine de croire qu’il ne s’adressait pas à moi. Tortillant les fils qui dépassaient du bas de ma jupe, je sifflotai distraitement, pour l’ignorer, mais il tira sur ma manche. Je consentis alors à me tourner vers lui au moment où le train commençait à prendre de la vitesse. Les murs de la gare, placardés d’affiches, défilaient derrière sa tête comme les rubans d’un arc-en-ciel délavé. Cette dernière vision de l’endroit me plut.

— Je vous demande pardon ? lui répondis-je, mes lèvres sans doute toujours étirées jusque mes oreilles.

— Vous semblez joyeuse, me lança-t-il sur un ton de reproche. Je me demandais pourquoi, il fait si moche aujourd’hui.

Je fronçai pour la première fois les sourcils ce jour-là, ne voyant pas le rapport entre mon humeur et le temps qu’il faisait.

— Une petite bruine ne devrait pas vous miner à ce point, ajoutai-je alors que des cordes aqueuses frappaient latéralement les vitres du train.

Je tentai de poursuivre la conversation sur une note plus gaie, mais je savais que c’était peine perdue. Les capitains étaient tous pessimistes et peu joyeux, ancrés dans une routine désespérante que je m’efforçais de fuir. Je fournissais là mon ultime effort.

— Il est plaisant d’être au sec dans ce confortable train, ajoutai-je, n’en pensant pas un mot.

En effet, les sièges trop serrés nous obligeaient à plier les jambes sur le côté pour ne pas cogner celles du passager d’en face et les coussins rapiécés n’isolaient plus nos fesses et notre dos des banquettes métalliques bien trop dures et glacées à mon goût.

Mon voisin me dévisagea une seconde, se demandant probablement si je me moquais de lui. Je continuais de lui sourire, consciente que je devais avoir l’air d’une démente, mais incapable de changer d’expression. Il finit par décrisper légèrement ses lèvres, jugeant sans doute que j’étais sincère.

— En tout cas, il est plaisant de me trouver en votre compagnie. Je m’appelle Charles, m’informa-t-il pompeusement en tendant une main ferme vers moi.

Je la serrai et il grimaça au contact de mes doigts gelés.

— Anne-Lys, répondis-je.

— Quel prénom étonnant !

Il patienta avidement, me contraignant une fois de plus à poursuivre la discussion. Je lui répondis machinalement :

— Cela vient de ma grand-mère qui se prénommait Anne et d’une plante, le lys.

— Je ne connais pas, murmura-t-il, mal à l’aise.

Je n’étais pas surprise qu’il ignore ce qu’était un lys, il n’existait plus de telles fleurs à la Capitale. À moins qu’il ne parle de mamie…

— Ravi de vous rencontrer, ajouta-t-il rapidement. Je dois dire que vous ne passez pas inaperçu.

— Que voulez-vous dire ? balbutiai-je, me sentant rougir.

Pour le coup, mon expression avait enfin dû changer. Je sentais des courbatures dans mes joues trop sollicitées jusque-là. Charles se mit à rire, mais ce son me parut faux, comme s’il avait été enregistré pour de telles occasions.

— Vos vêtements. Rares sont les personnes qui portent autant de couleurs, précisa-t-il en désignant mes pieds. Je n’ai rien vu de cette sorte depuis des années !

Je baissai la tête et vis le capuchon jaune de mon imperméable dépasser sous mon siège. Mes bottes et ma jupe pastelles viraient au fushia à cause de l’eau qui les imbibait. J’aimais les porter avec mon chemisier blanc, seul survivant à l’averse que j’avais prise. J’avais récupéré ces vêtements dans les affaires que ma mère avait laissées derrière elle avant de quitter la Capitale, bien des années auparavant.

Je m’intéressai également à la tenue de Charles, vêtu uniquement de noir, des souliers vernis jusqu’à la veste cintrée en passant par le pantalon fraîchement repassé. Un parapluie assorti était coincé entre la vitre et son siège. J’observai brièvement les passagers alentours. Ils portaient tous des tenues vaguement similaires, encore que certains avaient osé le gris clair. Après dix années passées dans cette cité, cela m’étonnait toujours, bien que j’eus tout le loisir de remarquer qu’il s’agissait de la seule mode proposée dans les boutiques.

Je ne répondis pas à mon voisin qui continuait de me fixer. Il finit par comprendre qu’il n’y avait rien à ajouter sur le sujet et préféra en changer :

— Alors Anne-Lys, où allez-vous ?

Je commençais vraiment à penser que j’étais malchanceuse. Les gens d’ici étaient habituellement égocentriques, mal aimables et moroses. Ils n’aimaient pas adresser la parole aux inconnus, ce qui m’allait, en règle générale, très bien. Et pourtant, ce Charles était curieux. Je soupirai intérieurement avant de lui répondre le plus simplement possible.

— À Samare.

Une toux étranglée troubla soudainement le silence qui régnait dans le wagon. La femme assise face à moi s’était mise à tousser bruyamment. Des larmes, grossies par ses lunettes, perlaient au coin de ses yeux. Elle semblait sur le point d’étouffer. J’aurais pu lui venir en aide, j’aurais d’ailleurs été la seule à le faire, mais je savais ce qui l’avait mise dans cet état. Je décidai donc de l’ignorer. Elle s’en remettrait bien.

J’avais compris que les passagers les plus proches écoutaient ce que Charles et moi nous disions, et cette femme n’avait pu retenir son exclamation de terreur, désormais coincée au fond de sa gorge, lorsque j’avais indiqué ma destination. Je le savais, car à la Capitale tout le monde considérait Samare comme un endroit malfamé où ne vivaient que des gens bizarres, des « tordus ». Et vu l’expression que Charles affichait, il venait visiblement de comprendre pourquoi je semblais si marginale avec ma tenue colorée et mon prénom floral. J’avais toutes les chances d’être tranquille d’ici peu. Il ne paraissait plus si ravi de se trouver en ma compagnie.

— À Samare ? répéta-t-il dans un souffle.

Il scruta mon visage et je soutins son regard jusqu’à ce que, à mon grand étonnement, il se mette à rire. Un rire hilare, très aigu, presque hystérique; un vrai rire, différent du premier. Cette fois j’enfonçai mes doigts dans mes oreilles et abasourdie, je remarquai que plusieurs autres passagers souriaient désormais. J’interrogeai mon interlocuteur du regard et dus patienter quelques minutes avant qu’il ne reprenne son sérieux.

— Vous êtes… vrai-vraiment… très drôle, articula-t-il, tout essoufflé. Qui va à Samare n’a plus d’espoir, ha ha !

Je grinçai des dents, impressionnée par le cheminement de sa pensée étriquée. Il préférait conclure à une blague plutôt que d’envisager la possibilité que je me rendais effectivement dans la cité de Samare : épatant.

— Et qui demeure capitain ne voit que chagrin, répliquai-je. Je ne plaisante pas, Charles.

Mon ton égal et mon sourire figèrent son expression sur une grimace entre la terreur et le dégoût. Et tandis qu’il cogitait sur mon proverbe improvisé, je me détournai de lui, basculant tant bien que mal mes jambes vers l’allée centrale. La passagère d’en face, le visage toujours empourpré par son bref étouffement, attrapa ses genoux et les serra contre elle pour éviter de me toucher. Les personnes occupant la banquette de l’autre côté de l’étroit couloir baissèrent aussitôt la tête. Cela m’importait peu. Je plongeai simplement mon regard vers le paysage lointain de la Capitale que je quittais enfin.

Les quelques immeubles lugubres rétrécissaient pour laisser place à un désert tout aussi sinistre. Le train surplombait le sol noirci et desséché par des années d’exploitation intensive. Cet endroit avait été abandonné ainsi après que tout ce qu’il possédait de bien fut englouti par la Capitale. Il ne restait que les vestiges d’une végétation détruite et il n’y avait plus du tout d’eau. La terre craquait davantage à chaque passage du train dont les vibrations menaçaient de faire tomber les poteaux à moitié déterrés qui soutenaient les rails. Quel que soit l’endroit où je me trouvais, rien ne pouvait me faire oublier les rues sombres et humides de la Capitale, ni ses deux tours noires pointées vers un ciel que le Soleil ne semblait plus vouloir éclairer.

J’avais choisi de fuir cette cité, mais beaucoup décidaient au contraire de s’y réfugier. De nombreux paysans dont les terres avaient été ravagées se sentaient forcés de s’y rendre, car ils n’avaient plus rien. La Capitale était dépeinte comme la cité du travail et des profits, les deux clés du bonheur dans l’esprit commun. Les gens espéraient y recommencer leur vie. Moi, je la voyais plutôt comme la cité de la zombification et de la ruine et je percevais les capitains comme malheureux et piégés dans un engrenage infernal. C’était ce que j’avais la chance de quitter et ce que j’espérais changer un jour.

Voili voilou ^^.