Akemi no sekai

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Une soirée inattendue, court texte · SF SEX, court texte

Une nouvelle vie ramassée sur le bord de l’autoroute, court texte

Publié le 12/03/2018 dans Mes écrits.
couverture du livre

Voici une courte nouvelle écrite en 2016 pour un concours dont le thème était l’espoir. Une jeune femme ramasse des auto-stoppeurs qui lui donnent envie de vivre sa vie autrement.

Environ 10 minutes de lecture.

Une nouvelle vie ramassée sur le bord de l’autoroute

Comme chaque vendredi, Alice monta dans sa petite citadine surannée à 18 h 04. Elle démarra avec le sourire et quitta le parking du Parc des Lys pour regagner le boulevard, le cœur léger. Elle avait terminé sa semaine de travail.

Lorsqu’elle atteignit la bretelle d’accès à l’A75, Alice ne s’étonna pas d’apercevoir deux auto-stoppeurs. Elle en voyait souvent à cet emplacement stratégique. Par curiosité, elle ralentit pour lire leur destination sur la pancarte de carton que l’un d’eux brandissait. La voiture s’ébroua comme un canasson agonisant avant de caler.

— Flûte ! jura Alice en ramenant le levier de vitesses au point mort.

Les routards avaient déjà commencé à courir sur le bas côté pour la rejoindre. Alice appuya aussitôt sur les boutons de verrouillage des portières et tourna rapidement la clé pour remettre le contact. Un coup sec frappé à la vitre la fit sursauter.

— Salut ! On va à Montpellier, tu peux nous déposer ? demanda l’un des deux hommes en indiquant le carton de son ami, resté en retrait.

Alice s’efforça de lui sourire gentiment, mais elle avait peur. Elle n’avait pas l’habitude de parler aux gens qu’elle ne connaissait pas et elle avait entendu suffisamment d’histoires inquiétantes sur les auto-stoppeurs pour hésiter à laisser ces deux-là monter avec elle. Pourtant, une petite voix dans sa tête lui murmurait de lâcher la bride et de sortir des sentiers battus pour une fois. L’accélération de son rythme cardiaque et la moiteur de ses mains, crispées sur le volant, n’étaient peut-être pas dues qu’à son affolement. Une certaine excitation commençait à s’emparer d’elle. Et si c’était le destin qui venait de cogner contre la vitre de sa voiture ? Alice en guettait les signes depuis bien longtemps. Elle ne se plaignait pas de sa vie, encore qu’il lui arrivait parfois de se dire qu’elle en avait assez de s’ennuyer, mais elle espérait ardemment que quelque chose se produise et bouleverse son quotidien. Alors que cet événement fortuit se présentait à elle, elle comprit qu’elle tenait là l’occasion de faire en sorte que les choses changent. C’était à elle d’agir pour que sa routine s’effrite, ne serait-ce qu’un peu.

Encore quelque peu hésitante, Alice jeta un coup d’œil dans le rétroviseur central. Elle préférait quand même s’assurer que le deuxième homme paraissait aussi sympathique que celui qui s’était déjà adressé à elle. Elle savait, bien sûr, que les apparences pouvaient être trompeuses et que les beaux yeux noisette et les jolies fossettes rehaussées de ce jeune vagabond ne signifiaient pas qu’il était inoffensif. Mais son attitude, sa tenue décontractée et les chaussures de marches qui pendaient de son sac à dos lui donnaient un air de maraudeur bienveillant. Lorsqu’Alice aperçut son compagnon, qui pliait quant à lui sous le poids d’un matelas en mousse et de casseroles, attachées à des mousquetons, elle se laissa séduire sans se poser plus de questions. Ces deux voyageurs adoptaient un mode de vie complètement différent du sien et elle avait envie d’apprendre à les connaître. De plus, le regard profond et le visage détendu du plus discret des deux lui semblaient familiers et rassurants.

— Montez, finit-elle par répondre en soulevant le bouton de la portière passager.

— Super !

Celui qui avait engagé la conversation donna une tape sur l’épaule de son ami, un large sourire animant sa tête blonde. Il se dirigeait déjà vers l’arrière de la voiture. L’autre, plus taciturne, lui retint le bras, ouvrit l’auto et se pencha pour demander à Alice :

— On peut mettre nos affaires dans le coffre ?

Sa voix douce et apaisante sembla créer un coussin moelleux autour d’Alice qui se détendit aussitôt. Elle relâcha enfin le volant et lui fit un signe pour l’y autoriser.

Pendant qu’ils étaient occupés à se débattre avec leurs gros sacs de randonneurs, Alice réfléchissait. Il lui semblait que lorsque ce beau brun aux yeux gris avait ouvert la portière de sa voiture pour lui parler, il avait laissé s’échapper le poids qui oppressait sa poitrine. Alice était libre. Elle ne parvenait pourtant pas à expliquer cette impression qui l’habitait. Elle ne s’était jamais privée de rien. Elle avait toujours fait ce dont elle avait envie, mais elle ne s’était jamais sentie aussi bien.

Le claquement du coffre la sortit de ses pensées. Le blond extraverti se précipita pour pouvoir s’asseoir à côté de la conductrice, alors que l’autre ne faisait pas le moindre effort pour passer devant lui.

— C’est sympa de nous poser, lâcha le gagnant en bouclant sa ceinture. Tu vas où, toi ?

— Je ne vais pas jusqu’à Montpellier, mais ça vous avancera un bout de chemin, répondit vaguement Alice tandis que son deuxième passager s’installait derrière son ami.

Elle lui jeta un nouveau coup d’œil dans le rétroviseur et quand leurs regards se croisèrent, elle se sentit rougir. Elle remit alors le contact et engagea la voiture sur la bretelle d’autoroute avec une étrange boule au ventre. Elle espérait vraiment avoir pris la bonne décision.

— Moi, c’est Mathieu, l’informa le blond, et lui c’est Tony.

Il désigna son compagnon d’un signe de la main, par-dessus son épaule.

— On croyait que personne ne s’arrêterait avant la nuit, poursuivit-il. On avait pas trop envie de crécher dans ce trou.

— C’est sûr, commenta Alice.

— C’est cool que tu nous aies ramassés, euh… Comment tu t’appelles ?

— Alice.

Alice sourit à Mathieu, rassurée par sa gentillesse et son bavardage qui détendait l’atmosphère. Inspirée, elle alla même jusqu’à clamer qu’il était normal qu’elle leur vienne en aide, puisqu’ils se trouvaient sur son chemin.

— Je croyais que tu avais calé par accident, lança alors Tony depuis la banquette arrière.

Le sourire d’Alice se volatilisa. Elle se risqua à regarder une nouvelle fois dans le rétroviseur et fronça les sourcils quand elle vit l’expression radieuse – et particulièrement séduisante – de Tony. Mathieu éclata de rire et lâcha :

— T’inquiètes pas Alice, cet enfoiré aime bien mettre les gens mal à l’aise. L’important, c’est que tu nous aies ouvert ta caisse.

— Oui. Je… C’est que je n’ai pas l’habitude de prendre des auto-stoppeurs…

— Alice… murmura Tony, apparemment en pleine réflexion.

L’intéressée le fixa de nouveau en catimini. Il en faisait autant en se frottant le menton. Quelque peu déstabilisée, Alice s’efforça de détourner les yeux pour se concentrer sur sa conduite. Un silence gênant s’appesantit dans l’auto jusqu’à ce que Tony ajoute :

— Tu étais en seconde B au lycée Édouard Herriot, à Lyon.

La voiture ralentit dans une montée et un 4x4 la doubla à plus de 110 km/h. Alice ne s’en soucia guère. Son regard ne cessait désormais d’osciller entre la route et le reflet du visage de Tony.

— Oui, finit-elle par avouer. Mais, on se connaît ?

— Tony Morin. On était dans la même classe.

— Sérieux ? s’écria Mathieu, enthousiaste. C’est dingue ! Vous vous connaissez ! Mais qu’est-ce que t’es venue foutre dans ce trou pommé, Alice ?

Tony grimaça, ennuyé par l’intervention de son ami qui agissait comme si lui aussi avait connu Alice. Cette dernière en revanche était perdue. Ainsi, le visage rassurant de ce voyageur lui était familier parce qu’elle l’avait déjà vu. Et si les yeux gris de Tony l’avaient transpercée dès le premier regard, c’était parce qu’elle avait déjà été frappée par leur intensité quand elle était plus jeune. L’ironie voulait qu’elle ait eu un faible pour lui lorsqu’ils étaient au lycée.

— Ça doit être le destin, poursuivait Mathieu, que personne n’écoutait vraiment.

Le mot destin crépitait effectivement dans l’esprit d’Alice. Pourquoi avait-elle pris en auto-stop un ancien camarade de classe précisément au moment où sa vie avait besoin d’une étincelle pour repartir ? L’accès à un futur nouveau avait-il un lien avec le passé ? Une lueur d’espoir brillait désormais pour Alice, chassant instantanément la morosité de son quotidien. Elle ne savait rien de Tony, mais elle était certaine qu’ils avaient emprunté des chemins bien différents. Ce ne pouvait pas être un hasard si elle connaissait l’un des voyageurs qu’elle avait ramassés. C’était sans aucun doute pour lui faciliter la tâche. Un tournant s’offrait à Alice et c’était le moment de décider si elle souhaitait le suivre et si elle était prête à découvrir un autre style de vie grâce à cette rencontre inattendue.

— Alors, qu’est-ce que tu deviens ? demanda-t-elle finalement à son ancien camarade de classe.

Elle réalisa la platitude de ses paroles quand il lui répondit par un sourire déçu, comme s’il avait espéré qu’elle serait plus originale.

— On va, on vient, expliqua Mathieu à la place de son ami. On veut voir du pays. Et toi ?

— Je… hésita Alice. J’ai trouvé un boulot ici et je… J’habite pas loin.

Elle fixa la route en s’efforçant d’ignorer le regard inquisiteur de ses compagnons. La longue voie goudronnée qui défilait sous les roues de sa voiture ne l’aidait pas à se réconcilier avec le sentiment de manque qui avait grandi en elle. Sa vie était vide, insignifiante et aussi linéaire que cette route. Alice n’avait jamais « vu de pays ».

— Viens avec nous, lança tout à coup Tony, comme s’il lisait dans ses pensées.

Alice freina brusquement, faisant déraper la voiture sur la bande d’arrêt d’urgence. Mathieu sursauta et appuya par réflexe sur le bouton des feux de détresse, ancré dans le tableau de bord. Les deux passagers avant se tournèrent simultanément vers le jeune homme, se cognant presque le front l’un à l’autre. Tony paraissait serein. Il dévisageait toujours Alice avec son regard intense et apaisant, comme s’il lui garantissait de lui faire vivre les meilleurs moments qu’elle puisse imaginer. Un sourire entendu se dessinait sur ses lèvres entrouvertes. Mathieu l’examina durant un bref instant et se mit à rire d’un air complice.

— Super ! articula-t-il en se retournant vers la route. C’est parti !

— Qu… Quoi ? bégaya Alice en regardant les deux amis comme s’ils étaient devenus fous.

— Lâche tout, reprit Tony. Viens avec nous et commence à vivre.


Cette nouvelle est très courte ! En la relisant, tout ce temps après l’avoir écrite, j’ai l’impression qu’à la fin, elle ne fait en réalité que commencer.

Le personnage d’Alice est assez classique, bien que ses pensées soient quelque peu étranges. Elle me fait l’effet d’une fille farfelue à attendre que le destin lui tombe dessus. Pourtant, avec la vie routinière qu’elle mène, elle ne semble pas être du genre à croire au destin. Je n’arrive pas à savoir si elle est crédible.

Il y a quelques notes d’humour dans ce texte, ça change. Encore que ma nouvelle de fantasy Bredebie et compagnie en était remplie, et mes romans sur les aventures de Megumi aussi, grâce à l’amphibien magique Tiny. Bon, je m’égare un peu…

Cette courte nouvelle me plaît, car rencontrer des autostoppeurs sur le bord de l’autoroute, ça peut arriver à tout le monde. En revanche, avoir l’occasion de tourner une page de sa vie parce que ces vagabonds vous le proposent, c’est autre chose. Je crois que j’aurais bien aimé qu’il y ait une suite. En même temps, je me dis que c’est peut-être mieux que le lecteur l’imagine lui-même. Je n’arrive pas à me positionner en tant que lectrice et à faire ce travail d’imagination parce que c’est moi qui ai écrit l’histoire. Pas de chance…

Techniquement, je ne vois pas de problème flagrants. On a la présentation du personnage principal et l’élément qui vient perturber son train-train. L’avancée sur l’autoroute et les conversations constituent le déroulement des péripéties de l’histoire qui trouve sa résolution quand Alice comprend que cette rencontre ouvre une nouvelle voie vers son destin avec la proposition de Tony. L’histoire est implicitement conclue avec le choix du lecteur : soit Alice part avec eux, soit elle les dépose quelque part et rentre chez elle pour retourner travailler le lundi suivant.