Akemi no sekai

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Armée ou défense civile non-violente · Des friches et des chiffres de Odette Laplaze-Estorgues

Mais moi je vous aimais de Gilbert Cesbron

Publié le 05/11/2020 dans Lectures.
Page d'accueil du roman aux éditions Robert Laffont.

Lecture du roman Mais moi je vous aimais de Gilbert Cesbron (1977). Je ne connaissais pas l’auteur et j’ai attaqué la lecture sans savoir dans quoi je m’embarquais. Je ne risque pas d’oublier ce roman.

Résumé détaillé

Un homme décide de se tuer en voiture avec son fils. L’enfant survit et est adopté par l’homme qui reçoit la greffe du cœur de son père. Le chirurgien et le psychiatre le mettent en garde. Il n’a peut-être que quelques années supplémentaires à vivre et le garçon, Yann, demande plus d’amour et d’attention que n’importe quel autre enfant. En effet, en plus d’être traumatisé par l’« accident », il est diagnostiqué « débile léger » et, d’après les enquêteurs, c’est ce qui aurait poussé sa mère à l’abandonner et son père à lâcher prise.

Qu’à cela ne tienne, Lerouville, fraîchement greffé, se refait une vie et une santé avec ce gamin qu’il aime et qu’il veut protéger plus que tout. Il prend des dispositions pour que Yann soit confié à sa sœur et son époux lorsqu’il disparaîtra. Le moment fatidique arrive, ne manquant pas de traumatiser l’enfant un peu plus. Malheureusement, les nouveaux parents de Yann ne savent pas le comprendre ni le gérer et ils ne peuvent lui apporter aucun amour. Ils préfèrent le placer dans une pension de riches, dans une classe inférieure à la sienne afin qu’il puisse suivre en classe (il grandit, mais garde l’âge mental d’un enfant de 7 ou 8 ans) et demande, moyennant finances et relations, une grande discrétion de la part de l’établissement sur l’anormalité du petit.

Ce dernier s’attache aux seuls adultes gentils et attentionnés auxquels il a désormais affaire, son professeur et son épouse. Il préfère oublier son passé heureux avec son nouveau père et ses amis, les domestiques de la maison, pour ne se concentrer que sur le présent et protéger ainsi son cœur et son âme mutilés par les abandons. Tout semble pouvoir se passer au mieux, mais les autres enfants comprennent rapidement qu’ils peuvent se jouer de lui parce qu’il ne comprend rien et ses professeurs ont un enfant qui les font le délaisser. Blessé et furieux, il met le feu au gymnase de l’école. Ses soi-disant parents ne veulent rien entendre et demande à l’école de le confier aux autorités compétentes sans ébruiter l’accident. Un juge pour enfant ne pouvant pas s’occuper de lui puisque personne n’avoue qu’il a commis un crime, on le place dans un asile de fous.

Heureusement, le psychiatre qui l’a vu confié à Lerouville après son malheureux accident de la route et a décidé de garder un œil sur lui apprend sa mésaventure et le sort de l’asile. Administrativement, tout est compliqué et fait pour lui mettre des bâtons dans les roues. La meilleure option qui s’offre à eux est d’installer Yann dans un hospice, avec les personnes âgées. C’est la meilleure chose qui lui soit jamais arrivée. Il se crée une nouvelle famille avec deux grands-pères et la cuisinière de l’établissement qui l’acceptent, l’éduquent et le rendent heureux.

Comme si son bonheur ne pouvait pas durer, alors qu’il n’a même pas quinze ans, un reportage télévisé tourné dans l’hospice pour le 14 juillet et les paroles médisantes de la secrétaire de l’établissement engendrent un nouveau grand bouleversement dans la vie de Yann. Sa « maman » est envoyée dans un autre établissement et le seul moyen de la ramener, selon l’un de ses « grands-pères », est qu’il fasse une fugue pour montrer aux administrations qu’ils ont commis une erreur. Ils mettent en place un plan pour qu’ils sachent où le retrouver, mais Yann panique, seul dans la nuit dans les bois, et finit par se perdre pour de bon.

Il est ramassé par un groupe de jeunes en marge de la société qui sont contre le système et vole pour survivre. Yann se laisse embarquer dans leurs aventures jusqu’à ce qu’ils aillent trop loin. Forcés de se cacher chacun de son côté, ils abandonnent Yann devant une église en lui promettant que le grand-père qui vit là va s’occuper de lui.

C’est effectivement ce que fait le curé et cela semble arranger tout le monde, du préfet jusqu’aux hautes instances de l’église. Le psychiatre est persuadé que Yann doit encore une fois se construire une nouvelle vie avec ce vieil homme et conseille à sa « maman » de l’hospice de ne pas lui rendre visite. Yann en est triste et pense qu’elle l’a abandonné, elle aussi. Il recommence donc une nouvelle fois sa vie, en trouvant dans le curé son nouveau grand-père et dans un travailleur sénégalais immigré son « papa ».

La situation politique actuelle oblige le préfet à faire évacuer le bidonville des immigrés et à les loger décemment en ville. Ceux-ci aimeraient rester tous ensemble, mais cela semble impossible. Ils entament alors une grève de la faim dans l’église où Yann vit, apprend l’Évangile et commence à croire que Jésus peut résoudre tous les problèmes. Le curé soutient l’action des immigrés, ce qui lui vaut d’être mis en retraite anticipée par ses supérieurs. Il aimerait pouvoir s’occuper de Yann, lui dire qu’il doit partir, mais Yann monte la résistance avec ses amis sénégalais, bien que ceux-ci lui aient demandé de se mettre à l’abri. Une confrontation avec les forces de l’ordre et des paroles déplacées de la part d’un CRS poussent Yann à reprendre les instincts de brigands qu’il a appris avec les jeunes vagabonds qu’il a rencontrés. Il prend l’arme à feu que les Sénégalais ont subtilisé aux policiers et tire à tort et à travers pour impressionner tout le monde, comme dans les batailles que son grand-père de l’hospice lui a relatées. Il blesse un CRS et les forces armées ripostent. Yann est tué d’une balle dans la tête avant que sa « maman », le curé ou le psychiatre n’arrivent pour le sortir de là.

Depuis la tentative de suicide collectif de son père biologique, Yann porte autour du cou une carte indiquant qu’il est donneur d’organes. Le chirurgien qui avait déjà effectué l’opération avec le cœur de son père, au début du roman, prévoit donc une nouvelle intervention. Le psychiatre est persuadé que la greffe va échouer. Il a raison. Le greffé succombe et c’est comme si Yann mourrait une deuxième fois, apportant une nouvelle vague de douleur chez ceux dont il a croisé le chemin et changer la façon de voir le monde.

Mon avis

C’est le roman le plus triste, le plus bouleversant et le plus tragique que j’ai jamais lu. Quelle angoisse ! Dès le départ j’ai été harponnée par le destin de ce garçon bien malchanceux. Je ne souhaitais qu’une seule chose, qu’il soit enfin heureux. Chaque fois que cela semblait possible, un nouveau malheur s’abattait sur lui et j’espérais de tout cœur qu’avant la fin, tout s’arrangerait, qu’il trouverait enfin une famille qui l’aime vraiment. Il l’a trouvée, mais son histoire ne se termine pas bien du tout.

Cette fin m’a sidérée. Quand j’ai lu le passage où Yann se prend la balle, j’ai dû revenir en arrière pour m’assurer que j’avais bien compris. Je n’y croyais pas. Je ne voulais pas y croire. J’étais tellement déçue et triste que ce pauvre garçon n’ait pas eu la belle vie qu’il méritait.

Malgré cette fin choquante et sûrement pas attendue, je trouve que c’est un excellent roman. Dans mon précédent article, sur le roman Des friches et des chiffres, je disais que je n’aime pas les lectures trop réalistes, qui m’obligent à suivre une vie tellement ancrée dans le monde réel que je connais déjà. Avec Mais moi je vous aimais, c’est exactement le cas, bien que l’histoire se déroule dans les années 70’ et que les choses étaient légèrement différentes qu’aujourd’hui (et encore, pas beaucoup). Pourtant, je ne me suis pas dit un seul instant que cette lecture ne me plaisait pas, alors même que je n’aimais pas ce que je lisais ! C’est très paradoxal. Le roman est écrit de telle sorte que nous nous sentions profondément concernés par ce qui va arriver à Yann. Il est fait pour dépeindre une société inadaptée aux cas particuliers, croulant sous des services administratifs plus incompétents les uns que les autres et dépourvue de la moindre trace de compassion, d’empathie ou d’amour. Nous détestons ce que nous y voyons, mais nous sommes attachés à Yann et à quelques autres personnages qui nous donnent de l’espoir. Je me suis raccrochée à cet espoir comme à une bouée en plein milieu de l’océan. J’ai fini par couler avec ce système écœurant… Un sacré coup de bambou.

Il y a tout de même de merveilleux moments dans cette histoire, d’une beauté et d’une candeur touchante qui m’ont fait sourire ou qui m’ont serré le cœur de tendresse :

Le style est également agréable. Il est fluide, bien travaillé, avec des images fortes telles que la métaphore de l’océan et des navires dans un parc végétal, au printemps.

La façon de retranscrire les pensées de l’enfant, sa manière d’interpréter les choses, de comprendre ce qu’on essaie de lui apprendre… Tout cela est parfaitement mesuré et tellement réaliste que c’en est déchirant. Le personnage est en effet très bien sculpté. C’est une autre forme d’intelligence que celle qui consiste à obtenir un score dans la norme et à savoir rédiger des dictées ou faire des exercices de calculs à l’école. C’est la vision d’un enfant de 8 ans face à un monde cruel. D’ailleurs, loin d’être bête, Yann comprend et apprend les choses qui l’intéressent et qui ne lui causent pas de tort directement. Il est rigoureux (il vérifie le programme du cirque et remarque qu’il manque un numéro), il apprend à discerner les constellations et les oiseaux, ou encore les grandes batailles de France et sait en retirer des choses, il comprend l’histoire de Jésus et interprète les paroles de Dieu sous un nouvel angle qui incite le curé à redécouvrir sa propre foi. Yann change la vie des gens qui l’entourent, même peu de temps, au moins autant qu’eux change la sienne.

La narration omnisciente (c’est rare et plutôt déconcertant au départ, mais tellement indispensable en fin de compte) permet de précisément montrer toutes ces pensées, mais aussi tous les aspects de la société dénoncés par l’auteur (apparemment, il était du genre à écrire des romans pour parler des problèmes de la société. Il en a fait des dizaines comme celui-là 😮). Le personnage du docteur Quirinat est d’ailleurs là pour représenter l’action et exprimer clairement les griefs. Sa conclusion sur qui était Yann et comment la société rejette l’amour est poignante et bouleversante.

En fait, si j’avais été plus attentive et moins naïve, la présence de ce narrateur particulier et sa façon d’amener les choses sur les « coulisses » des décisions des adultes concernant le « dossier Lerouville » ; j’aurais compris que tout cela annonçait la fin tragique. J’ai espéré avec beaucoup d’ardeur, mais la couleur était déjà annoncée depuis longtemps dans le récit. J’ai été aveuglée par l’empathie que j’éprouvais à l’égard de ce garçon comme aurait dû l’être chacun des personnages qui a bouleversé sa vie. S’ils l’avaient été, son histoire aurait pu bien se terminer. Étant donné que peu de gens ont laissé parler leur cœur, plutôt que leur porte-monnaie, tout était vain. En fin de compte, si Yann avait vécu heureux des années durant, protégé et aimé par une famille et insérée dans une société compréhensive, ce serait devenu un roman fantastique… Presque aussi terrifiant que la version officielle, et tellement trop tirée par les cheveux. C’était impossible. Et c’est une constatation glaçante.

Conclusion

C’est un livre excellent que je suis ravie d’avoir découvert, mais que je ne relirai plus jamais. Il est beaucoup trop triste. Je suis certaine de ne jamais l’oublier, et si je cherchais à en retrouver les vestiges, ce seul article suffirait à me donner envie de pleurer. Inutile donc de replonger dans les méandres d’une vie bafouée par un monde cruel et égoïste.


Je ne crois pas avoir déjà lu un roman aussi bien écrit, sauf peut-être Abyss de Orson Scott Card. Ce sont sans doute mes deux romans préférés.